mardi 19 mai 2020

Deux fois cinquante ans de cinéma français (Jean-Luc Godard & Anne-Marie Miéville, 1995)


Je ne m'en étais jamais vraiment rendu compte, mais hier soir ça m'a sauté aux yeux, Michel Piccoli a joué dans les deux films les plus puissants de Jean-Luc Godard, Le Mépris et Passion. Puissants suivant ma loi du cinéma. Je suis chanceux d'avoir pu les voir dans de belles conditions, dans des projections 35 mm. J'ai déjà écrit sur Passion mais pas encore sur Le Mépris, je n'ai même jamais revu le film depuis février 1992, ça viendra, ce sera mon dernier texte pour ce blog.

Michel Piccoli a donc été trois fois devant les caméras de Jean-Luc Godard. En 1995, il est filmé avec Anne-Marie Miéville dans un hôtel au bord d'un lac pour célébrer le centenaire du cinéma. Michel Piccoli avait été convaincu pour Bertrand Tavernier et Bernard Chardère (le premier devait d'ailleurs se charger du film commémoratif sur le cinéma français, avant de renoncer et de filer la patate chaude à Godard).

A part Deux fois cinquante ans de cinéma français disponible en bonus dans le coffret DVD des Histoire(s) du cinéma, la série produite par le British Film Institute était composé de six films (Nagisa Oshima, Stephen Frears ont œuvré pour leur cinéma), seul le film de Martin Scorsese – très long – le fameux A personal journey with Martin Scorsese through American movies, réalisé avec le critique Michael Henry Wilson.

Le film ne fait que 50 minutes traitant des 50 premières années, ça ne dépasse pas La Ronde de Max Ophuls – comme s'il manquait 50 minutes pour le deuxième cinquantenaire) mais il lance un contre-pied sarcastique à la célébration du centenaire du cinéma. « Le cinéma n'est pas deéjà célèbre ? » demande Godard au « président » qui confesse qu'on va célébrer la première séance commerciale du cinématographe et non son invention.

Face à face sur une petite table – la conversation commence dans un iris typiquement du cinéma muet – Godard fait la leçon à Piccoli qui a du mal à en placer une. Disons qu'il écoute les yeux écarquillés de ce rôle – un troisième rôle dans les deux sens du terme – attribué par le cinéaste. Godard est en train de lui expliquer qu'il est le président d'une supercherie et entend bien le démontrer. Piccoli n'a de toute façon pas le choix.

Jean-Luc Godard abandonne Michel Piccoli dans sa chambre d'hôtel, le laissant interroger les employés sur Dita Parlo et Jacques Becker (« Boris Becker, boum boum Becker »). Il convoque Baudelaire (le premier cinéaste) et les critiques de cinéma (de Jean-Georges Auriol à Serge Daney), la critique c'est le lieu où l'oubli du cinéma est aboli. C'est pas moi qui vais dire le contraire.

Tavernier aurait fait un film de souvenirs – c'est ce qu'il fera 20 ans plus tard – Godard fait un album de l'oubli. Il est persuadé que tout le monde a oublié les acteurs de jadis. Il égrène les noms de ces vedettes, de ces cinéastes. Il montre finalement peu d'extraits. Que des bouts de noir et blanc, des morceaux de films oubliés, le résultat est très curieux et funèbre, encore plus que les Histoire(s) du cinéma, par chance c'est plus court.

L'histoire du cinéma est toujours ironique. Michel Piccoli a accepté cette même année 1995 d'incarner Simon Cinéma dans Les Cent et une nuits de Simon Cinéma, sorti six mois avant la diffusion télé du Godard. Agnès Varda avait composé son plus mauvais film, une sinistre kitscherie qu'elle imaginait légère. Cette année, on ne célèbre pas les 125 ans de cinéma. On ne peut toujours pas aller au cinéma.


Le film avait commencé avec la présentation des trois volumes du Musée du cinéma d'Henri Langlois, son musée imaginaire. Un livre que Godard offre à Michel Piccoli en début de film, qu'il feuillette en attendant l'acteur. Le dernier plan est une photo de Henri Langlois, le seul regard caméra de tout le film, une injonction à lire des films ou à ne pas laisser tomber dans l'oubli le cinéma.








































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