Je
ne m'en étais jamais vraiment rendu compte, mais hier soir ça m'a
sauté aux yeux, Michel Piccoli a joué dans les deux films les plus
puissants de Jean-Luc Godard, Le Mépris et Passion. Puissants
suivant ma loi du cinéma. Je suis chanceux d'avoir pu les voir dans
de belles conditions, dans des projections 35 mm. J'ai déjà écrit
sur Passion mais pas encore sur Le Mépris, je n'ai même jamais revu
le film depuis février 1992, ça viendra, ce sera mon dernier texte
pour ce blog.
Michel
Piccoli a donc été trois fois devant les caméras de Jean-Luc
Godard. En 1995, il est filmé avec Anne-Marie Miéville dans un
hôtel au bord d'un lac pour célébrer le centenaire du cinéma.
Michel Piccoli avait été convaincu pour Bertrand Tavernier et
Bernard Chardère (le premier devait d'ailleurs se charger du film
commémoratif sur le cinéma français, avant de renoncer et de filer
la patate chaude à Godard).
A
part Deux fois cinquante ans de cinéma français disponible
en bonus dans le coffret DVD des Histoire(s) du cinéma, la
série produite par le British Film Institute était composé de six
films (Nagisa Oshima, Stephen Frears ont œuvré pour leur cinéma),
seul le film de Martin Scorsese – très long – le fameux A
personal journey with Martin Scorsese through American movies,
réalisé avec le critique Michael Henry Wilson.
Le
film ne fait que 50 minutes traitant des 50 premières années, ça
ne dépasse pas La Ronde de Max Ophuls – comme s'il manquait 50
minutes pour le deuxième cinquantenaire) mais il lance un
contre-pied sarcastique à la célébration du centenaire du cinéma.
« Le cinéma n'est pas deéjà célèbre ? » demande
Godard au « président » qui confesse qu'on va célébrer
la première séance commerciale du cinématographe et non son
invention.
Face
à face sur une petite table – la conversation commence dans un
iris typiquement du cinéma muet – Godard fait la leçon à Piccoli
qui a du mal à en placer une. Disons qu'il écoute les yeux
écarquillés de ce rôle – un troisième rôle dans les deux sens
du terme – attribué par le cinéaste. Godard est en train de lui
expliquer qu'il est le président d'une supercherie et entend bien le
démontrer. Piccoli n'a de toute façon pas le choix.
Jean-Luc
Godard abandonne Michel Piccoli dans sa chambre d'hôtel, le laissant
interroger les employés sur Dita Parlo et Jacques Becker (« Boris
Becker, boum boum Becker »). Il convoque Baudelaire (le premier
cinéaste) et les critiques de cinéma (de Jean-Georges Auriol à
Serge Daney), la critique c'est le lieu où l'oubli du cinéma est
aboli. C'est pas moi qui vais dire le contraire.
Tavernier
aurait fait un film de souvenirs – c'est ce qu'il fera 20 ans plus
tard – Godard fait un album de l'oubli. Il est persuadé que tout
le monde a oublié les acteurs de jadis. Il égrène les noms de ces
vedettes, de ces cinéastes. Il montre finalement peu d'extraits. Que
des bouts de noir et blanc, des morceaux de films oubliés, le
résultat est très curieux et funèbre, encore plus que les
Histoire(s) du cinéma, par chance c'est plus court.
L'histoire
du cinéma est toujours ironique. Michel Piccoli a accepté cette
même année 1995 d'incarner Simon Cinéma dans Les Cent et une
nuits de Simon Cinéma, sorti six mois avant la diffusion télé
du Godard. Agnès Varda avait composé son plus mauvais film, une
sinistre kitscherie qu'elle imaginait légère. Cette année, on ne
célèbre pas les 125 ans de cinéma. On ne peut toujours pas aller
au cinéma.
Le
film avait commencé avec la présentation des trois volumes du Musée
du cinéma d'Henri Langlois, son musée imaginaire. Un livre que
Godard offre à Michel Piccoli en début de film, qu'il feuillette en
attendant l'acteur. Le dernier plan est une photo de Henri Langlois,
le seul regard caméra de tout le film, une injonction à lire des
films ou à ne pas laisser tomber dans l'oubli le cinéma.
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