samedi 30 mai 2020

L'Hérétique (John Boorman, 1977)

Un de mes amis m'a prêté son DVD de L'Hérétique en me prévenant que le film a une sale réputation. Ce que j'ignorais parce que le film avait fait la couverture de Positif avec un solide entretien avec Michel Ciment et qu'il avait fait l'objet d'un numéro de l'Avant-Scène Cinéma à sa sortie en salles en France en février 1978. Ça date. Je suis assez neutre sur John Boorman, je connais à peine plus son cinéma que celui de William Friedkin.

Linda Blair rempile dans cette fausse vraie suite. Elle porte le même nom de personnage, elle est Regan, c'est la même actrice mais elle n'est plus la même Regan ni la même actrice. Elle a grandi, elle s'est adoucie et John Boorman la filme en ange blanc entourée de colombes au sommet d'un immeuble, elle est vaporeuse, éthérée, elle s'apprête à s'envoler dans les airs, au bord de la terrasse, avant de revenir sur terre.

Elle évolue dans un univers parallèle à L'Exorciste. Dans L'Hérétique les décors sont tout sauf réalistes. Regan passe une bonne partie de ses journées dans le cabinet du Dr. Gene Tuskin (Louise Fletcher, c'est étonnant de la voir après Vol au dessus d'un nid de coucou, chaque fois dans un rôle de psychiatre). C'est un cabinet transparent où les patients circulent, se croisent, se rencontrent, tout est ouvert, glissant, lumineux bien que sous-terrain.

Finalement ce décor moderne mais daté évoque ceux de Zardoz où le futur est coincé dans le passé. C'était des bulles de plastic au milieu de fermes typiquement irlandaises dans Zardoz, c'est une terrasse d'immeuble pleine de miroirs, des bureaux transparents et une Afrique fantasmée avec un village aux rues étroites (la ligne horizontale) et un monastère accessible entre deux rochers (la ligne verticale). On est presque chez Pasolini.

L'Afrique vient en vision au curé du film, le père Philip Lamont (Richard Burton). Il ouvre le film avec justement un couloir étroit photographié en clair-obscur où une jeune femme est possédée. A peine le prêtre est-il arrivé qu'elle est prise de spasmes bien que tenue par les villageoises. Puis, elle s'immole devant le curé qui n'en supporte pas la vision. Il est terrifié, mais il le sait, il doit prendre la relève du père Merrin (Max Von Sydow).

Là est sans doute le moment de parler de Richard Burton et de son jeu, comment dire, halluciné. Il semble jouer comme dans une autre époque, il est dans les années 1960, dans une adaptation de Tennesse Williams. C'est parfois à la limite du supportable de la voir hébété, avec une lenteur toute théâtrale, mais ça va plutôt bien avec ce que John Boorman a envie de faire avec son film, là encore comme une prolongement à Zardoz, une réflexion sur l'hypnose.

Dans l'Afrique visitée par Merrin puis par le père Lamont, les fléaux sont dirigés par une grande sauterelle filmée en gros plan et chassée par un être étrange, le dénommé Kokumo (Joey Green jeune et James Earl Jones âgé). John Boorman essaie à placer du mystère dans ce personnage poursuivi par le démon et que Merrin a soigné. Lamont pense qu'il possède les clés pour tuer le démon qui possède encore Regan.

Evidemment, les spectateurs d'alors et d'aujourd'hui qui attendaient un volet qui ressemble au film de William Friedkin en sont pour leur frais. John Boorman prend l'exact contre-pied. La religiosité de L'Exorciste est ici remplacé par un paganisme anarchisant (là encore, c'est un prolongement de Zardoz). L'Afrique profonde, le monastère éthiopien visité par Merrin (dans une version jeune de son personnage) deviennent des souvenirs de Regan et Lamont.

Cette hypnose inventée par le Dr. Tuskin, c'est une simple machine lumineuse qui plonge dans les souvenirs. Je n'ai pas bien compris comment le père Lamont arrive dans le cabinet de la psychiatre. Mais il faut lancer le film sans précaution, sans lourdeur historique. Lamont se met immédiatement au travail et se va chercher le démon qui habitait jadis Regan. Le voilà dans une transparence de l'image à côté de Regan en train de chercher à voler le cœur du Dr. Tuskin.

Entre les deux films, les deux récits, Regan a acquis un pouvoir, celui de lire dans les esprits. J'aime beaucoup cette scène où elle parle, avec un grand sourire, à une jeune fillette autiste. Et l'enfant se met pour la première fois de sa vie à parler avec des mots, pour la première fois, elle peut être entendue. Regan dira au médecin « elle parlait à l'intérieur, elle parle maintenant à l'extérieur ». Elle ne savait pas qu'elle avait ce pouvoir.

Peut-être parce que c'est une « suite », L'Hérétique double tout. Les voyages se font d'abord dans l'esprit puis en réel, dans le passé puis le présent, le film récrit même L'Exorciste en supprimant l'existence même du père Karras, seul Merrin a défait le démon, de la même manière Chris la mère de Regan est absente (un tournage éloigné sans doute) et est remplacé par Sharon (Kitty Winn) qui revient dans la maison maudite à Washington avec le père Lamont.


J'avoue que tout n'est pas clair dans L'Hérétique, le récit se chevauche, se plie, se défait, mais il va plus loin dans la tension sexuelle que Regan désormais adulte crée. Le père Lamont en rupture de ban avec le Vatican est soudain pris d'une étrange attirance pour cette sainte. John Boorman cherche à détruire le mythe créé par L'Exorciste avec un finale grandiloquent et furieux, baroque et paradoxalement très calme.































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