Un
de mes amis m'a prêté son DVD de L'Hérétique en me
prévenant que le film a une sale réputation. Ce que j'ignorais
parce que le film avait fait la couverture de Positif avec un solide
entretien avec Michel Ciment et qu'il avait fait l'objet d'un numéro
de l'Avant-Scène Cinéma à sa sortie en salles en France en février
1978. Ça date. Je suis assez neutre sur John Boorman, je connais à
peine plus son cinéma que celui de William Friedkin.
Linda
Blair rempile dans cette fausse vraie suite. Elle porte le même nom
de personnage, elle est Regan, c'est la même actrice mais elle n'est
plus la même Regan ni la même actrice. Elle a grandi, elle s'est
adoucie et John Boorman la filme en ange blanc entourée de colombes
au sommet d'un immeuble, elle est vaporeuse, éthérée, elle
s'apprête à s'envoler dans les airs, au bord de la terrasse, avant
de revenir sur terre.
Elle
évolue dans un univers parallèle à L'Exorciste. Dans
L'Hérétique les décors sont tout sauf réalistes. Regan
passe une bonne partie de ses journées dans le cabinet du Dr. Gene
Tuskin (Louise Fletcher, c'est étonnant de la voir après Vol au
dessus d'un nid de coucou, chaque fois dans un rôle de psychiatre).
C'est un cabinet transparent où les patients circulent, se croisent,
se rencontrent, tout est ouvert, glissant, lumineux bien que
sous-terrain.
Finalement
ce décor moderne mais daté évoque ceux de Zardoz où le
futur est coincé dans le passé. C'était des bulles de plastic au
milieu de fermes typiquement irlandaises dans Zardoz, c'est
une terrasse d'immeuble pleine de miroirs, des bureaux transparents
et une Afrique fantasmée avec un village aux rues étroites (la
ligne horizontale) et un monastère accessible entre deux rochers (la
ligne verticale). On est presque chez Pasolini.
L'Afrique
vient en vision au curé du film, le père Philip Lamont (Richard
Burton). Il ouvre le film avec justement un couloir étroit
photographié en clair-obscur où une jeune femme est possédée. A
peine le prêtre est-il arrivé qu'elle est prise de spasmes bien que
tenue par les villageoises. Puis, elle s'immole devant le curé qui
n'en supporte pas la vision. Il est terrifié, mais il le sait, il
doit prendre la relève du père Merrin (Max Von Sydow).
Là
est sans doute le moment de parler de Richard Burton et de son jeu,
comment dire, halluciné. Il semble jouer comme dans une autre
époque, il est dans les années 1960, dans une adaptation de
Tennesse Williams. C'est parfois à la limite du supportable de la
voir hébété, avec une lenteur toute théâtrale, mais ça va
plutôt bien avec ce que John Boorman a envie de faire avec son film,
là encore comme une prolongement à Zardoz, une réflexion
sur l'hypnose.
Dans
l'Afrique visitée par Merrin puis par le père Lamont, les fléaux
sont dirigés par une grande sauterelle filmée en gros plan et
chassée par un être étrange, le dénommé Kokumo (Joey Green jeune
et James Earl Jones âgé). John Boorman essaie à placer du mystère
dans ce personnage poursuivi par le démon et que Merrin a soigné.
Lamont pense qu'il possède les clés pour tuer le démon qui possède
encore Regan.
Evidemment,
les spectateurs d'alors et d'aujourd'hui qui attendaient un volet qui
ressemble au film de William Friedkin en sont pour leur frais. John
Boorman prend l'exact contre-pied. La religiosité de L'Exorciste
est ici remplacé par un paganisme anarchisant (là encore, c'est un
prolongement de Zardoz). L'Afrique profonde, le monastère
éthiopien visité par Merrin (dans une version jeune de son
personnage) deviennent des souvenirs de Regan et Lamont.
Cette
hypnose inventée par le Dr. Tuskin, c'est une simple machine
lumineuse qui plonge dans les souvenirs. Je n'ai pas bien compris
comment le père Lamont arrive dans le cabinet de la psychiatre. Mais
il faut lancer le film sans précaution, sans lourdeur historique.
Lamont se met immédiatement au travail et se va chercher le démon
qui habitait jadis Regan. Le voilà dans une transparence de l'image
à côté de Regan en train de chercher à voler le cœur du Dr.
Tuskin.
Entre
les deux films, les deux récits, Regan a acquis un pouvoir, celui de
lire dans les esprits. J'aime beaucoup cette scène où elle parle,
avec un grand sourire, à une jeune fillette autiste. Et l'enfant se
met pour la première fois de sa vie à parler avec des mots, pour la
première fois, elle peut être entendue. Regan dira au médecin
« elle parlait à l'intérieur, elle parle maintenant à
l'extérieur ». Elle ne savait pas qu'elle avait ce pouvoir.
Peut-être
parce que c'est une « suite », L'Hérétique
double tout. Les voyages se font d'abord dans l'esprit puis en réel,
dans le passé puis le présent, le film récrit même L'Exorciste
en supprimant l'existence même du père Karras, seul Merrin a défait
le démon, de la même manière Chris la mère de Regan est absente
(un tournage éloigné sans doute) et est remplacé par Sharon (Kitty
Winn) qui revient dans la maison maudite à Washington avec le père
Lamont.
J'avoue
que tout n'est pas clair dans L'Hérétique, le récit se
chevauche, se plie, se défait, mais il va plus loin dans la tension
sexuelle que Regan désormais adulte crée. Le père Lamont en
rupture de ban avec le Vatican est soudain pris d'une étrange
attirance pour cette sainte. John Boorman cherche à détruire le
mythe créé par L'Exorciste avec un finale grandiloquent et
furieux, baroque et paradoxalement très calme.
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