Quand
commencent à tomber du ciel les aigrettes – les manine en
italien – cette espèce de neige de duvet de fleurs blanches, c'est
le début du printemps. Toute la ville sort dans les rues, les
habitants sont encore emmitouflés dans leurs vêtements d'hiver.
C'est toute une parade qui s'amorce où les gens se retrouvent pour
la première fois après l'hiver. Les jeunes garçons observent les
dames qui aiguisent leurs appétits.
Dans
ce sublime film de souvenirs, le plus beau film de Federico Fellini,
celui qui file à toute vitesse dans l'enchaînement des anecdotes,
le narrateur est double. Ce jeune homme blond Titta (Bruno Zanin),
collégien toujours habillé avec ce même tricot de corps jaune rayé
de deux bandes rouge et bleue. C'est aussi l'avocat (Luigi Rossi) qui
s'adresse au spectateur, poussant son vélo, un peu nostalgique de
cette innocence de la puberté.
Les
femmes fantasme défilent chacune est déterminée par son anatomie,
la plus classe, la Gradisca (Magali Noël) c'est le cul filmé en
gros plan, la buraliste (Maria Antonietta Beluzzi) au corsage
abondant dans lequel Titta ira se perdre un jour, la Volpina (Josiane
Tanzilli), c'est la bouche qu'elle triture avec ses doigts, une
cloche qui vit au bord de la mer. Elles ne seront pas les seules
femme fantasme, mais elles sont les plus importantes.
Le
gamin rêve d'elles, elle rêvent du Duce. En contrepoint de ce
défilé initial, Federico Fellini oppose le grotesque défilé
militaire fasciste, la traversée au pas de course de la ville. Tout
le monde est tout sourire, en uniforme, dans un apparat ridicule. La
Gradisca se pâme « je veux le toucher, vive le Duce ».
Pas de nostalgie du fascisme dans le film, au contraire, en cinq
minutes, Fellini se paie ce simulacre de pouvoir.
Un
dignitaire fasciste clame, non sans fierté donc avec obscénité,
que 99% du village est membre du parti. Le 1% restant est le père de
Titta. Aurelio (Armando Brancia) aimerait exprimer sa résistance au
défile mais son épouse Miranda (Puppela Maggio) a fermé à clé le
portail. Le soir-même, un gramophone installé sur le clocher de
l'église joue l'Internationale. Les fascistes accusent Aurelio et se
vengent en lui faisant boire une bouteille entière d'huile de ricin.
Les
disputes des parents sont homériques. Tout est résumé lors d'un
repas à haute teneur comique. La mère fait des reproches au père
et vice-versa, le grand-père pétomane tapote les fesses de Gina la
servante, l'oncle Pataca (Nando Orfei) prend un air détaché, les
deux fistons observent avec amusement ce couple qui s'adore, comme
d'autres scènes le montrent, ne pas pouvoir s'empêcher d'exprimer
cet amour en se gueulant dessus. Une famille unie.
L'autre
cible dans Amarcord est l'église et ce curé obtus qui
confesse les gamins. Déjà dans 8 ½ Federico Fellini n'y
allait pas de main morte avec l'hypocrisie des curés, là il montre
ce curé qui se délecte d'entendre les jeunes raconter s'ils se
touchent en pensant aux femmes. Titta pense à toutes ces femmes, à
leurs culs surtout et à l'image on le voit fantasmer devant elles,
mais n'en dira rien au curé, en tout cas minimise l'intensité de
ces branlettes.
La
vie au collège est sujet de vignettes, des caricatures des profs
comme des camarades de Titta. Ce sont les petits tics des enseignants
qui ressortent, leurs mauvaises habitudes, tout est donné sur un ton
badin, comme tout celui de la première heure. Les gamins font des
salles blagues (le film contient beaucoup de pets, pipi etc) mais la
prof de maths, sous son chandail moulant, a des allures de lionne.
Elle aussi est un fantasme.
La
salle de cinéma du coin s'appelle le Fulgor. Le patron est
fringuant, toujours habillé comme une star hollywoodienne. On y
passe un Ginger et Fred mais surtout Morocco. La Gradisca
admire Gary Cooper. Seule dans la salle cinéma, les yeux rivés sur
l'écran, la fumée de sa cigarette qui l'entoure, elle est rejointe
par Titta qui change de fauteuil pour s'approcher d'elle et mettre sa
main sur sa cuisse. Compréhensive, elle tourne son visage vers lui
avec dignité.
Le
fantasme est une chose, la réalité une autre qui vient surgir dans
la deuxième heure plus dramatique pour Titta comme pour la Gradisca.
Au lieu de Gary Cooper elle épouse un carabinier. Titta et son frère
vont se confronter à la peur (la vache que croise le petit frère),
à l'inconnu (cet oncle qu'on dit dément mais qui est bien plus
clairvoyant que les autres), à la mort (de la mère qui les
protégeait des autres).
Au
loin, un paquebot luxueux passe, c'est l'attraction de l'été, toute
la ville embarque en chaloupes dans un doux rêve d'atteindre ce luxe
qui ne fera que passer, qui les réduira à leur petite vie
répétitive. Bientôt la neige commence à tomber sur la ville, les
flocons de l'hiver. Les aigrettes reviennent en toute fin de film.
Une année est passée, la boucle est bouclée, les souvenirs étaient
légers comme un vol de fleurs.
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