vendredi 8 mai 2020

Amarcord (Federico Fellini, 1973)

Quand commencent à tomber du ciel les aigrettes – les manine en italien – cette espèce de neige de duvet de fleurs blanches, c'est le début du printemps. Toute la ville sort dans les rues, les habitants sont encore emmitouflés dans leurs vêtements d'hiver. C'est toute une parade qui s'amorce où les gens se retrouvent pour la première fois après l'hiver. Les jeunes garçons observent les dames qui aiguisent leurs appétits.

Dans ce sublime film de souvenirs, le plus beau film de Federico Fellini, celui qui file à toute vitesse dans l'enchaînement des anecdotes, le narrateur est double. Ce jeune homme blond Titta (Bruno Zanin), collégien toujours habillé avec ce même tricot de corps jaune rayé de deux bandes rouge et bleue. C'est aussi l'avocat (Luigi Rossi) qui s'adresse au spectateur, poussant son vélo, un peu nostalgique de cette innocence de la puberté.

Les femmes fantasme défilent chacune est déterminée par son anatomie, la plus classe, la Gradisca (Magali Noël) c'est le cul filmé en gros plan, la buraliste (Maria Antonietta Beluzzi) au corsage abondant dans lequel Titta ira se perdre un jour, la Volpina (Josiane Tanzilli), c'est la bouche qu'elle triture avec ses doigts, une cloche qui vit au bord de la mer. Elles ne seront pas les seules femme fantasme, mais elles sont les plus importantes.

Le gamin rêve d'elles, elle rêvent du Duce. En contrepoint de ce défilé initial, Federico Fellini oppose le grotesque défilé militaire fasciste, la traversée au pas de course de la ville. Tout le monde est tout sourire, en uniforme, dans un apparat ridicule. La Gradisca se pâme « je veux le toucher, vive le Duce ». Pas de nostalgie du fascisme dans le film, au contraire, en cinq minutes, Fellini se paie ce simulacre de pouvoir.

Un dignitaire fasciste clame, non sans fierté donc avec obscénité, que 99% du village est membre du parti. Le 1% restant est le père de Titta. Aurelio (Armando Brancia) aimerait exprimer sa résistance au défile mais son épouse Miranda (Puppela Maggio) a fermé à clé le portail. Le soir-même, un gramophone installé sur le clocher de l'église joue l'Internationale. Les fascistes accusent Aurelio et se vengent en lui faisant boire une bouteille entière d'huile de ricin.

Les disputes des parents sont homériques. Tout est résumé lors d'un repas à haute teneur comique. La mère fait des reproches au père et vice-versa, le grand-père pétomane tapote les fesses de Gina la servante, l'oncle Pataca (Nando Orfei) prend un air détaché, les deux fistons observent avec amusement ce couple qui s'adore, comme d'autres scènes le montrent, ne pas pouvoir s'empêcher d'exprimer cet amour en se gueulant dessus. Une famille unie.

L'autre cible dans Amarcord est l'église et ce curé obtus qui confesse les gamins. Déjà dans 8 ½ Federico Fellini n'y allait pas de main morte avec l'hypocrisie des curés, là il montre ce curé qui se délecte d'entendre les jeunes raconter s'ils se touchent en pensant aux femmes. Titta pense à toutes ces femmes, à leurs culs surtout et à l'image on le voit fantasmer devant elles, mais n'en dira rien au curé, en tout cas minimise l'intensité de ces branlettes.

La vie au collège est sujet de vignettes, des caricatures des profs comme des camarades de Titta. Ce sont les petits tics des enseignants qui ressortent, leurs mauvaises habitudes, tout est donné sur un ton badin, comme tout celui de la première heure. Les gamins font des salles blagues (le film contient beaucoup de pets, pipi etc) mais la prof de maths, sous son chandail moulant, a des allures de lionne. Elle aussi est un fantasme.

La salle de cinéma du coin s'appelle le Fulgor. Le patron est fringuant, toujours habillé comme une star hollywoodienne. On y passe un Ginger et Fred mais surtout Morocco. La Gradisca admire Gary Cooper. Seule dans la salle cinéma, les yeux rivés sur l'écran, la fumée de sa cigarette qui l'entoure, elle est rejointe par Titta qui change de fauteuil pour s'approcher d'elle et mettre sa main sur sa cuisse. Compréhensive, elle tourne son visage vers lui avec dignité.

Le fantasme est une chose, la réalité une autre qui vient surgir dans la deuxième heure plus dramatique pour Titta comme pour la Gradisca. Au lieu de Gary Cooper elle épouse un carabinier. Titta et son frère vont se confronter à la peur (la vache que croise le petit frère), à l'inconnu (cet oncle qu'on dit dément mais qui est bien plus clairvoyant que les autres), à la mort (de la mère qui les protégeait des autres).


Au loin, un paquebot luxueux passe, c'est l'attraction de l'été, toute la ville embarque en chaloupes dans un doux rêve d'atteindre ce luxe qui ne fera que passer, qui les réduira à leur petite vie répétitive. Bientôt la neige commence à tomber sur la ville, les flocons de l'hiver. Les aigrettes reviennent en toute fin de film. Une année est passée, la boucle est bouclée, les souvenirs étaient légers comme un vol de fleurs.










































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