Pour
l'instant, le nom de Louis Delluc était synonyme du prix attribué
chaque année à un film d'auteur, à un journaliste dont on dit
qu'il est le premier critique de cinéma mais je n'avais encore
jamais vu un de ses films, il en a fait peu. La plate-forme de la
Cinémathèque française propose Fièvre, 44 minutes dans un
« cabaret pour matelots » situé dans un grand port, en
l'occurrence celui de Marseille dont on voit quelques images.
Le
cabaret n'est pas très rempli. Quelques clients, des habitués que
sert le patron Topinelli (Gaston Modot), géant en chemise et cravate
qui circule autour des quatre joueurs de cartes. Sur une autre table,
un ivrogne solitaire portant un grand chapeau d'artiste (Léonid de
Malte), de l'autre côté une femme qui fume la pipe (Yvonne Aurel).
Derrière le comptoir, dans sa robe aux motifs ying-yang, la patronne
Sarah (Eve Francis).
L'ennui
pointe à chaque instant. Sarah essuie ses verres au fond du café.
Elle discute avec la surnommée Patience (Solange Rugiens). De quoi ?
De l'amour et des marins qu'elles ont toutes deux aimé. Patience
attend patiemment le sien, elle est persuadée qu'il va revenir un
jour. Sarah n'a pas attendu le sien. Elle en a épousé un autre,
cette « brute » de Topinelli. Bref, elle a perdu tout
espoir.
Pourtant
elle y pense encore à ce marin perdu. Sarah le voit dans un court
flash-back, un souvenir du bon temps qui apparaît dans le film dans
une coloration différente des images ocres du reste du film. Le film
verra ainsi quelques retours en arrière du récit pour préciser les
choses, toujours du point de vue de Sarah ou de son ancien marin.
Mais Fièvre est un récit en direct, comblant les trois
unités de temps, d'action et d'espace.
Dans
cette soirée qui ne fait que commencer, on décèle que Sarah est
l'objet de l'attention d'un des joueurs de cartes. Il est dénommé
« le petit fonctionnaire ». il aimerait bien conter
fleurette à la patronne quand elle se rend dans la cave pour
chercher du vin. Mais elle le rejette comme un malpropre. Il sera le
plus vindicatif quand l'ancien marin revient dans le cabaret, celui
qui tentera de le poignarder dans le dos.
Car
ce marin nommé Militis (Van Daele), un beau et grand gars au regard
doux mais intense débarque dans le port. Leur première
destination : le cabaret. Ils sont une bonne dizaine ces marins
à venir dépenser leur solde en alcool et en femmes. Ces dernières
dès que les marins ont mis le pied dans le cabaret débarquent elles
aussi. Des femmes toutes décrites par des surnoms variés qui
indiquent bien leur vertu : Pompon, Prunelle, etc.
Les
marins font les beaux cœurs, ils montrent tout ce qu'ils ont ramené
d'Indochine, de leur voyage dans l'extrême orient. De beaux objets
exotiques, boîtes, statuettes, singe, ombrelle. Là aussi Louis
Delluc décrit tout par le menu (l'un des leitmotive du film, tout
décrire, tout raconter, tout nommer). Seul Militis a ramené une
épouse. Un bonze les a mariés au Japon. Elle (Elena Sagrary) est
accroupie à ses pieds admirant la fleur artificielle sur le comptoir
Le
cabaret était peu rempli, il devient vite bondé. Le café a beau
être plein, ce ne sont que des personnages souffrant de solitude qui
sont là. Le mélodrame peut alors commencer tandis que l'alcool
échauffe chacun. Les marins commencent à danser avec les
prostituées au son du piano mécanique mis en branle par le patron.
Et quand Sarah s'approche avec son grand sourire de la table, elle
reconnaît Militis.
Louis
Delluc accélère le rythme de son récit au fur et à mesure que la
tension monte entre tous. On danse, on se bagarre, on se tue. Certes,
le jeu de certains acteurs est encore un peu figé mais c'est dans le
montage organique que le film s'écrit, dans l'alternance entre les
plans larges et rapprochés. Le film porte bien son titre et il se
termine, en toute logique, en vidant tout le cabaret de sa
population, morte ou vivante.
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