mercredi 27 mai 2020

Fièvre (Louis Delluc, 1921)

Pour l'instant, le nom de Louis Delluc était synonyme du prix attribué chaque année à un film d'auteur, à un journaliste dont on dit qu'il est le premier critique de cinéma mais je n'avais encore jamais vu un de ses films, il en a fait peu. La plate-forme de la Cinémathèque française propose Fièvre, 44 minutes dans un « cabaret pour matelots » situé dans un grand port, en l'occurrence celui de Marseille dont on voit quelques images.

Le cabaret n'est pas très rempli. Quelques clients, des habitués que sert le patron Topinelli (Gaston Modot), géant en chemise et cravate qui circule autour des quatre joueurs de cartes. Sur une autre table, un ivrogne solitaire portant un grand chapeau d'artiste (Léonid de Malte), de l'autre côté une femme qui fume la pipe (Yvonne Aurel). Derrière le comptoir, dans sa robe aux motifs ying-yang, la patronne Sarah (Eve Francis).

L'ennui pointe à chaque instant. Sarah essuie ses verres au fond du café. Elle discute avec la surnommée Patience (Solange Rugiens). De quoi ? De l'amour et des marins qu'elles ont toutes deux aimé. Patience attend patiemment le sien, elle est persuadée qu'il va revenir un jour. Sarah n'a pas attendu le sien. Elle en a épousé un autre, cette « brute » de Topinelli. Bref, elle a perdu tout espoir.

Pourtant elle y pense encore à ce marin perdu. Sarah le voit dans un court flash-back, un souvenir du bon temps qui apparaît dans le film dans une coloration différente des images ocres du reste du film. Le film verra ainsi quelques retours en arrière du récit pour préciser les choses, toujours du point de vue de Sarah ou de son ancien marin. Mais Fièvre est un récit en direct, comblant les trois unités de temps, d'action et d'espace.

Dans cette soirée qui ne fait que commencer, on décèle que Sarah est l'objet de l'attention d'un des joueurs de cartes. Il est dénommé « le petit fonctionnaire ». il aimerait bien conter fleurette à la patronne quand elle se rend dans la cave pour chercher du vin. Mais elle le rejette comme un malpropre. Il sera le plus vindicatif quand l'ancien marin revient dans le cabaret, celui qui tentera de le poignarder dans le dos.

Car ce marin nommé Militis (Van Daele), un beau et grand gars au regard doux mais intense débarque dans le port. Leur première destination : le cabaret. Ils sont une bonne dizaine ces marins à venir dépenser leur solde en alcool et en femmes. Ces dernières dès que les marins ont mis le pied dans le cabaret débarquent elles aussi. Des femmes toutes décrites par des surnoms variés qui indiquent bien leur vertu : Pompon, Prunelle, etc.

Les marins font les beaux cœurs, ils montrent tout ce qu'ils ont ramené d'Indochine, de leur voyage dans l'extrême orient. De beaux objets exotiques, boîtes, statuettes, singe, ombrelle. Là aussi Louis Delluc décrit tout par le menu (l'un des leitmotive du film, tout décrire, tout raconter, tout nommer). Seul Militis a ramené une épouse. Un bonze les a mariés au Japon. Elle (Elena Sagrary) est accroupie à ses pieds admirant la fleur artificielle sur le comptoir

Le cabaret était peu rempli, il devient vite bondé. Le café a beau être plein, ce ne sont que des personnages souffrant de solitude qui sont là. Le mélodrame peut alors commencer tandis que l'alcool échauffe chacun. Les marins commencent à danser avec les prostituées au son du piano mécanique mis en branle par le patron. Et quand Sarah s'approche avec son grand sourire de la table, elle reconnaît Militis.


Louis Delluc accélère le rythme de son récit au fur et à mesure que la tension monte entre tous. On danse, on se bagarre, on se tue. Certes, le jeu de certains acteurs est encore un peu figé mais c'est dans le montage organique que le film s'écrit, dans l'alternance entre les plans larges et rapprochés. Le film porte bien son titre et il se termine, en toute logique, en vidant tout le cabaret de sa population, morte ou vivante.




























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