Un
si doux visage. Je voulais pour illustrer ce texte sur L'Exorciste
ne mettre que des images de Linda Blair dans sa transformation de
jeune adolescente toute proprette, toute gentille, toute mignonne en
terrifiant démon dégueulant des insanités et du vomi. La
déliquescence morale et physique d'une enfant est l'attrait majeur
du film, que par ailleurs je n'aime pas beaucoup d'un cinéaste que
je connais peu.
Elle
s'appelle Regan cette fillette jouée par Linda Blair. Drôle de
prénom peu commun, en tout aux oreilles occidentales (j'ai lu
quelque part que dans la VF, elle était renommée Régine,
l'horreur). Je me suis toujours demandé pourquoi ce prénom, s'il
avait un sens. Par exemple inversé, puisqu'elle parlera en langue
inversée lors d'une démence démonique. Non. Mais Regan est
l'anagramme de anger, la colère, pas dies irae mais
satanas irae.
Je
connais peu de film sur l'exorcisme, si ce n'est l'antique Dies irae
de Carl Theo Dreyer, le bien nommé. En 30 ans, il a certainement été
tourné d'autres films sur l'exorcisme, sans doute dans quelque
productions Hammer. Mais dans les deux films, ce sont des femmes, une
vieille dame chez Dreyer, une toute petite chez Friedkin, une
innocence tourmentée par l'église ici, libérée par trois prêtres
là.
William
Peter Blatty a vendu son roman, puis son scénario, puis le film de
William Friedkin, avec une idée décapante : d'après une
histoire vraie. D'où la réputation de réalisme acquise depuis 1973
du film. Il est bien possible que des bigots fanatiques et
endoctrinés aient eu l'idée d'exorciser un gamin, mais cela
n'apporte ni n'enlève aucun qualité au film. Rien n'est moins sûr
que l'exorcisme pratiqué soit réaliste.
Ce
qui l'est pourrait être cette fabuleuse idée de salir de toute
force l'enfant, d'en faire un être éructant son fameux « ta
mère suce des bites en enfer » à Max Von Sydow, le prêtre
Merrin venu aider main forte au curé du coin. Pour une fois, dans un
film surnaturel, on parle cru, on évité les dialogues ampoulés et
le démon est une entité obsédée sexuelle. Là, dans les moments
où les dialogues se lâchent, le film touche juste.
On
a bien remarqué le patronyme MacNeil, origine irlandaise donc
catholique. On a surtout remarqué que la mère Chris (Elle Burstyn)
n'a rien d'une arriérée, elle n'est pas du genre à appeler un curé
pour exorciser sa fille. Mère élevant seule Regan, mais avec l'aide
d'une jeune femme Sharon (Kim Witt), Chris est actrice de cinéma.
Attention, elle fait des films politiques comme le montre une
séquence de tournage en début de film.
Cependant,
elle a parmi ses amis un prêtre qu'elle invitera chez elle un soir
dans cet appartement loué à Washington. Autour d'un piano, tandis
que tout le monde chante avec entrain, Regan arrive et se met à
pisser par terre. Oh, les têtes qu'ils font les invités. Chris
comprend que quelque chose ne tourne pas rond chez sa fille. Elle ne
la croyait pas bien quand Regan lui expliquait que son lit se mettait
à bouger tout seul.
« Comment
peut-elle rebondir sur son lit comme ça ? ». Chris ne
comprend rien. Quand les médecins administrent une forte dose de
sédatif à Regan après qu'elle ait dit « fuck me fuck me fuck
me », les docteurs suggèrent rapidement que seule l'église
pourrait venir en aide à Regan. Il faut dire que je trouve les
nombreuses crises d'hystérie de la mère à la limite du
supportable, hurlant, se défigurant le visage comme si elle aussi
était possédée.
Le
processus passe par la science. Regan est consultée par une tripotée
de médecins. Ils ne décèlent rien. Si la médecine ne peut rien,
il faut aller vers l'église. Ce sont de longues discussions vaseuses
qui l'amènent à faire confiance à ce petit curé, le père Damien
Karras (Jason Miller) qui sait que quelque part il existe un
exorciste. Ça tombe bien, le démon appelle, à l'envers donc, le
père Merrin qu'on avait vu dans le prologue face à la statue
démoniaque.
C'est
que Regan une fois bien possédée commence à tuer. Le premier est
le metteur en scène du film dans lequel joue Chris, Burke Dennings
(Jake MacGowran) qui passe par la fenêtre et s'écrase en bas d'un
escalier. Le film se lance dans deux pistes, le surnaturel avec le
père Karras et le policier avec l'arrivée d'un policier, Kinderman
(Lee J. Cobb), au patronyme là aussi bien déterminé. Il cherche à
comprendre la mort du cinéaste.
Je
n'oserais dire que Kinderman est la caution comique du film mais ses
allers-venues chez les MacNeil procure au film un peu d'humour
caustique et le jeu de Lee J. Cobb, tout en souplesse, contraste
terriblement avec l'expressivité à l'extrême d'Ellen Burstyn et
l'absence totale de charisme de Jason Miller. Et encore, je passe sur
les larmoiements familiaux du père Karras avec sa petite maman.
Reste
donc l'exorcisme en lui-même. Merrin, Karras et un troisième curé
affrontent Regan qui grogne avec sa voix rauque, le visage défiguré
par les pustules et les cicatrices et ce plan où elle tourne sa tête
à 180°. C'est trop court à mon goût, ça aurait pu être
développé. Mais je trouve ça marrant plus effrayant, comme tout le
film qui traîne en longueur, fait des ronds de jambe et qui semble
ne jamais finir.
Impossible
de parler de L'Exorciste sans évoquer Gotlib. Dans le tome 3
de Rhââ Lovely (paru en 1978), il parodie à l'excès le film, en
presque 20 pages (un tiers de l'album). Il pastiche toute la
religiosité du film en enfonce le clou encore plus loin en imaginant
que l'enfant (ici un garçonnet) est possédé par Jésus et non par
un quelconque démon mésopotamien de pacotille. Autant dire que je
préfère Gotlib à Friedkin.
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