« J'ai
le regret de t'annoncer que tu es mariée à un époux parfait ».
La phrase sort de la bouche de Sarah (Mel Harris) à sa meilleure
amie Jenny (Lolita Davidovich). Elles sont dans le parc et Jenny
parle de son époux Carter Nix (John Lithgow) qui s'occupe de leur
fille Amy depuis que Jenny a repris le travail. Il veille
constamment, totalement, jalousement sur elle, il est allé jusqu'à
installer une caméra de surveillance dans sa chambre, il peut ainsi
l'observer en permanence depuis le lit conjugal. Parfait, pas
vraiment selon Jenny qui pense qu'il couve beaucoup trop leur fille.
Elle
a effectivement raison de s'inquiéter. Cette conversation déboule
au bout de 20 minutes de L'Esprit de Caïn. Brian De Palma a
eu le temps de nous montrer l'esprit dérangé de Carter. Son nom de
famille en dit long, Nix : à la fois une consonance à la
Nietzsche (ce qui ne nous tue pas nous rendra plus fort) et la
prononciation de l'allemand nichts, le néant. Carter va
enlever le fils d'une connaissance, il met du chloroforme sur un
mouchoir et étourdit la mère dans sa voiture. Le geste de Carter
est un peu gauche, il a peur de se faire confondre par deux joggeurs.
Il
suffit de l'intervention de son frère Caïn (John Lithgow
également), qui débarque de nulle part pour sauver la mise. Brian
De Palma ne filmera jamais Caïn et Carter dans le même plan et joue
à peine sur l'idée que Caïn ne soit autre chose que l'imaginaire
délirant de Carter. John Lithgow lui joue ses deux personnages en
opposition totale, Carter en grand timide et Caïn en prédateur
sexuel, Jenny sera l'une de ses victimes, elle en parle à Sarah de
ce changement soudain d'attitude, un moment doux, un moment brutal.
Les
psychiatres en bonne santé seraient d'un ennui mortel, alors Brian
De Palma les conçoit complètement barré. C'est le cas du père de
Carter, le maléfique Dr. Nix (John Lithgow pour son troisième
rôle). Carter enlève des mômes pour ce père qui expérimente de
morcellement de personnalités. Il a fait une thèse à ce sujet. La
police et le lieutenant Terri (Gregg Henry) en tête ont peine à
croire à la schizophrénie de Nix. Comme dans Pulsions, Blow
out et Body double, les flics ont du mal à démarrer leur
enquête et Brian De Palma pousse jusqu'à la parodie leur
incompétence.
C'est
vers les morts vivants que le récit se tend. Vers ce père norvégien
censé être décédé et qui revient avec des cadavres qui traînent
quand son projet prend forme. Plus que Caïn, Josh et Margo, c'est ce
personnage de père sur lesquel joue l’ambiguïté de l'existence
même. Autant on devine vite grâce à la mise en scène basique que
Caïn n'existe pas, autant ce père pourrait être une invention
mentale de Carter. Le Dr. Nix est filmé en grand angle, souvent en
regard caméra comme si le point de vue de Carter le filmait en
caméra subjective.
Vers
une scène onirique remarquable, variation des habituelles
déambulations de Brian De Palma. Jenny a échangé les cadeaux
qu'elle voulait faire à Carter et à Jack Dante (Steve Bauer) – on
remarquera le nom de son nom de famille symbolique. Jack est un
ancien amoureux, un homme à la virilité exacerbée, l'inverse de
Carter. Dans une boucle qui semble échappée de Luis Buñuel, Jenny
rêve qu'elle rêve, elle s'imagine mourir, embrochée par la lance
d'une statue, après avoir fait l'amour deux fois en rêve avec Jack.
Le récit revient parfois sur ses pas dans des flash-backs
subjectifs.
Vient
enfin l'hommage le plus spirituel à Psychose, cette mort de Jenny
dans sa voiture que Caïn plonge dans un marais, tel Norman Bates le
faisait avec Marion Crane. Seulement voilà, cette fois Jenny est
vivante quand elle est dans la voiture, elle frappe de toutes ses
forces sur le pare-brise arrière, l'un des plans les plus forts et
les plus terrifiants de L'Esprit de Caïn. Jenny donnée pour morte
revient dans le récit et à la vie encore une fois, dans un
mouvement ironique souverain aussi éloigné que possible de tout
réalisme comme Brian De Palma sait si bien le faire.
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