Selon
Todd McCarthy dans sa monographie sur Hawks, Le Port de l'angoisse
devait à l'origine se dérouler à Cuba, Bogart devait être
confronté à des trafiquants et coucher avec Bacall. Mais la censure
en a décidé autrement et Howard Hawks en engageant William Faulkner
pour contrer la censure décide de déplacer le film en Martinique,
colonie française sous la férule de Pétain (dont on voit un
portrait sur une affiche murale) mais où Harry Morgan (Humphrey
Bogart) évoque De Gaulle.
Le
tournage, toujours selon McCarthy, est improvisé, les scènes et
dialogues écrits deux ou trois jours avant les prises de vue (qui
eurent lieu en janvier et février 1944 avant la Libération) et
Howard Hawks met en scène dans la continuité de l'histoire ce qui
est permis par la concentration du récit sur quelques jours et situe
l'action dans l'hôtel que tient Frenchy (Marcel Dalio). Harry
Morgan vit dans une chambre, il loue son bateau aux derniers
touristes américains venus chasser l'espadon dans la mer des
Caraïbes.
Des
Américains résident encore ici, Vichy vient tout juste d'être mis
en place et Harry Morgan ne fait pas de politique. Quand le chef de
la police Renard (Dan Seymour), obèse coiffé d'un béret, les yeux
très largement cernés, toujours suivi par deux agents de la police,
dont l'un le plus mystérieux ne dit jamais un mot (Morgan à chaque
fois lui demande s'il sait parler) mais condamne d'un simple regard,
vient interroger Harry, il l'accuse de dénigrer Vichy et se verra
confisquer son passeport et l'argent qu'on lui doit.
Harry
Morgan est ainsi condamné à rester en Martinique, dans cet hôtel
et dans cette chambre. La chambre d'hôtel, spacieuse, avec en son
centre un bureau et dans le bureau une boîte d'allumette. Une
nouvelle venue dans l'hôtel, une certaine Marie (Lauren Bacall) qui
loge, ô hasard qui fait bien les choses, juste en face de Harry
Morgan, a besoin d'une allumette pour allumer sa cigarette. Harry lui
jette la boîte, elle lui renvoie quand elle fume enfin. Marie dans
l'angle de la porte n'aura pas bougé mais fixé Morgan en levant les
yeux et baissant le menton, the look.
Dans
cette chambre, elle prononce le célèbre conseil pour lui apprendre
à siffler s'il a besoin de la voir. Ce sifflement, c'est le retour
du passé de Marie que Harry Morgan appellera Slim, elle nommera
l'homme Steven (Slim était le surnom de l'épouse d'Howard Hawks).
Ce passé est celui d'une femme sans bagages, c'est-à-dire une
prostituée, même s'il est impossible de le dire si crûment dans le
film, censure oblige. Slim est une femme qui a du répondant et les
dialogues et répliques entre Slim et Steven sont, comme leur surnom,
cryptés de références sexuelles.
Car
dans le tiroir de ce bureau, il n'y a pas seulement une boîte
d'allumettes, il s'y trouve aussi un revolver, le symbole phallique
par excellence, pas encore aussi développé que dans Le Grand
sommeil que le couple Bogart Bacall tournera après Le Port de
l'angoisse. C'est ça qui est beau, cette histoire d'amour qui
naît entre les deux acteurs, ces regards qu'ils se lancent à chaque
détour de plans, on peut passer tout le film, surtout dans les
scènes où ils ne sont que tous les deux, à observer comment les
corps s'approchent et les yeux se fixent.
S'il
en est un qui n'est jamais fixé sur ses deux pieds, c'est Eddy le
personnage de soûlard invétéré de Walter Brennan à la démarches
incertaine. Il a une histoire de piqûres d'abeille morte à
raconter, ce sera la seule histoire qu'il peut raconter, sobre ou
ivre. Il n'a aucune mémoire de ce qu'il a fait avec Harry Morgan, ce
qui arrange bien ses affaires. Ainsi quand Renard cherche à
l'interroger, il perd son temps à être immergé dans des fausses
histoires, comme si ce que faisait Harry Morgan n'existait pas,
l'homme disparaissant derrière la figure créée par Slim, ce
personnage de Steven.
La
chambre à l'étage où Steven et Slim s'aiment (film d'amour), la
cave au sous-sol où la résistance est blessée et soignée (film de
guerre). Entre les deux, le salon de l'hôtel et le piano de Crickett
(Hoagy Carmichael), cure-dents à la bouche, comme George Raft jouait
avec sa pièce. On a là des séquences totalement déconnectées du
reste du récit, des moments de comédie musicale (Am I Blue, Hong
Kong Blues et Limehouse Blues, composition qui deviendra le thème
principal de Alice de Woody Allen), Lauren Bacall chante une
chanson, How little we know.
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