jeudi 8 novembre 2018

Le Port de l'angoisse (Howard Hawks, 1944)

Selon Todd McCarthy dans sa monographie sur Hawks, Le Port de l'angoisse devait à l'origine se dérouler à Cuba, Bogart devait être confronté à des trafiquants et coucher avec Bacall. Mais la censure en a décidé autrement et Howard Hawks en engageant William Faulkner pour contrer la censure décide de déplacer le film en Martinique, colonie française sous la férule de Pétain (dont on voit un portrait sur une affiche murale) mais où Harry Morgan (Humphrey Bogart) évoque De Gaulle.

Le tournage, toujours selon McCarthy, est improvisé, les scènes et dialogues écrits deux ou trois jours avant les prises de vue (qui eurent lieu en janvier et février 1944 avant la Libération) et Howard Hawks met en scène dans la continuité de l'histoire ce qui est permis par la concentration du récit sur quelques jours et situe l'action dans l'hôtel que tient Frenchy (Marcel Dalio). Harry Morgan vit dans une chambre, il loue son bateau aux derniers touristes américains venus chasser l'espadon dans la mer des Caraïbes.

Des Américains résident encore ici, Vichy vient tout juste d'être mis en place et Harry Morgan ne fait pas de politique. Quand le chef de la police Renard (Dan Seymour), obèse coiffé d'un béret, les yeux très largement cernés, toujours suivi par deux agents de la police, dont l'un le plus mystérieux ne dit jamais un mot (Morgan à chaque fois lui demande s'il sait parler) mais condamne d'un simple regard, vient interroger Harry, il l'accuse de dénigrer Vichy et se verra confisquer son passeport et l'argent qu'on lui doit.

Harry Morgan est ainsi condamné à rester en Martinique, dans cet hôtel et dans cette chambre. La chambre d'hôtel, spacieuse, avec en son centre un bureau et dans le bureau une boîte d'allumette. Une nouvelle venue dans l'hôtel, une certaine Marie (Lauren Bacall) qui loge, ô hasard qui fait bien les choses, juste en face de Harry Morgan, a besoin d'une allumette pour allumer sa cigarette. Harry lui jette la boîte, elle lui renvoie quand elle fume enfin. Marie dans l'angle de la porte n'aura pas bougé mais fixé Morgan en levant les yeux et baissant le menton, the look.

Dans cette chambre, elle prononce le célèbre conseil pour lui apprendre à siffler s'il a besoin de la voir. Ce sifflement, c'est le retour du passé de Marie que Harry Morgan appellera Slim, elle nommera l'homme Steven (Slim était le surnom de l'épouse d'Howard Hawks). Ce passé est celui d'une femme sans bagages, c'est-à-dire une prostituée, même s'il est impossible de le dire si crûment dans le film, censure oblige. Slim est une femme qui a du répondant et les dialogues et répliques entre Slim et Steven sont, comme leur surnom, cryptés de références sexuelles.

Car dans le tiroir de ce bureau, il n'y a pas seulement une boîte d'allumettes, il s'y trouve aussi un revolver, le symbole phallique par excellence, pas encore aussi développé que dans Le Grand sommeil que le couple Bogart Bacall tournera après Le Port de l'angoisse. C'est ça qui est beau, cette histoire d'amour qui naît entre les deux acteurs, ces regards qu'ils se lancent à chaque détour de plans, on peut passer tout le film, surtout dans les scènes où ils ne sont que tous les deux, à observer comment les corps s'approchent et les yeux se fixent.

S'il en est un qui n'est jamais fixé sur ses deux pieds, c'est Eddy le personnage de soûlard invétéré de Walter Brennan à la démarches incertaine. Il a une histoire de piqûres d'abeille morte à raconter, ce sera la seule histoire qu'il peut raconter, sobre ou ivre. Il n'a aucune mémoire de ce qu'il a fait avec Harry Morgan, ce qui arrange bien ses affaires. Ainsi quand Renard cherche à l'interroger, il perd son temps à être immergé dans des fausses histoires, comme si ce que faisait Harry Morgan n'existait pas, l'homme disparaissant derrière la figure créée par Slim, ce personnage de Steven.


La chambre à l'étage où Steven et Slim s'aiment (film d'amour), la cave au sous-sol où la résistance est blessée et soignée (film de guerre). Entre les deux, le salon de l'hôtel et le piano de Crickett (Hoagy Carmichael), cure-dents à la bouche, comme George Raft jouait avec sa pièce. On a là des séquences totalement déconnectées du reste du récit, des moments de comédie musicale (Am I Blue, Hong Kong Blues et Limehouse Blues, composition qui deviendra le thème principal de Alice de Woody Allen), Lauren Bacall chante une chanson, How little we know.





















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