lundi 12 novembre 2018

Heureux comme Lazzaro (Alice Rohrwacher, 2018)


Parlons tout d'abord de ce cadre quand on est dans la salle de cinéma. Heureux comme Lazzaro a été filmé en pellicule argentique et ça se voit, c'est remarquable physiquement quand des petites poussières viennent s’agglutiner en bas du cadre, disparaissent au changement de plan, et les angles légèrement arrondis, ce cadre n'est pas un immense carré comme dans le numérique, il est un peu flou rappelant les vieilles projections de cinéma.

C'est important de dessiner le cadre dans lequel évolue Lazzaro (Adriano Tardiolo), ce grand garçon un peu benêt, les cheveux gentiment ébouriffés, les bras ballants qui fait penser au Toto de Miracle à Milan (le personnage pas l'acteur), ce jeune homme qui comme Lazzaro ne pouvait pas s'empêcher d'aider tout le monde. Lazzaro traverse l'écran de gauche à droite, de haut en bas, pour faire profiter de ses bras et de ses jambes, toujours avec le même sourire béat.

Dans quelle époque Lazzaro évolue-t-il, dans quel espace-temps vit-il ? Avec cette image quasi archaïque et cette vie que Lazzaro comme les autres habitants du hameau de l'Inviolata, le film est un film d'époque, où tout le monde, femmes hommes enfants comme grand-pères aident à travailler aux champs pour cultiver le tabac. Lazzaro dans son unique tenue (un maillot de corps sur un le dos) sue comme tous les autres, trimant comme un esclave sans jamais un mot plus haut que l'autre.

Le secret de cette première heure de Heureux comme Lazzaro, sous une forme volontairement dessinée comme un documentaire, avec une attention aux gestes de ces paysans (comme les courts-métrages de Vittorio de Seta) refuse de dire quand se passe le film et ce secret va se révéler petit à petit. La Marquise doit arriver et son comptable, l'ignoble Nicola sur sa mobylette, détaille tout à la fois la paie des habitants comme leur dette qui ne cesse de s'accumuler.

Un couple veut se marier (le film commence ainsi), un jeune homme et une jeune femme sont amoureux, lui chante la sérénade sous la fenêtre de la belle. On découvre ainsi la pauvreté, la promiscuité, le fatum qui plane sur leur vie, ce qui n'empêche pas une forte dose d'humour. Nicola annonce qu'il doit demander l'autorisation de la Marquise, comme à l'ancien temps. Car le jeune couple veut s'en aller, quitter le hameau, enfin goûter la liberté.

L'arrivé dans le coin de Tancredi, le fils de la Marquise, grand blond, au corps maigre, oisif et profiteur, casque de walkman vissé sur le crâne, va fasciner Lazzaro. Les deux garçons ne se quittent plus, dans un rapport étrange et malsain, Lazzaro montre sa cachette au pied de la montagne, Tancredi s'y installe et fomente un plan, stupide et diabolique, pour emmerder sa mère de Marquise, faire croire qu'il s'est fait kidnappé et demande une rançon.

L'espace et le temps sont différents dans la deuxième heure, mais Lazzaro ne change pas, toujours ce maillot sale sur le corps, il se déplace dans le temps avec la même tête et le même corps quand Tancredi et les habitants du hameau ont tous vieilli. Ce changement visite les injustices de notre époque (Nicola marchande les salaires des chômeurs, terrifiant), dans une ville inhumaine. C'est moins étonnant que la première heure, moi qui suis allé voir ce film sans rien savoir, j'ai été ravi de cette découverte.

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