Parlons
tout d'abord de ce cadre quand on est dans la salle de cinéma.
Heureux comme Lazzaro a été filmé en pellicule argentique
et ça se voit, c'est remarquable physiquement quand des petites
poussières viennent s’agglutiner en bas du cadre, disparaissent au
changement de plan, et les angles légèrement arrondis, ce cadre
n'est pas un immense carré comme dans le numérique, il est un peu
flou rappelant les vieilles projections de cinéma.
C'est
important de dessiner le cadre dans lequel évolue Lazzaro (Adriano
Tardiolo), ce grand garçon un peu benêt, les cheveux gentiment
ébouriffés, les bras ballants qui fait penser au Toto de Miracle à
Milan (le personnage pas l'acteur), ce jeune homme qui comme Lazzaro
ne pouvait pas s'empêcher d'aider tout le monde. Lazzaro traverse
l'écran de gauche à droite, de haut en bas, pour faire profiter de
ses bras et de ses jambes, toujours avec le même sourire béat.
Dans
quelle époque Lazzaro évolue-t-il, dans quel espace-temps vit-il ?
Avec cette image quasi archaïque et cette vie que Lazzaro comme les
autres habitants du hameau de l'Inviolata, le film est un film
d'époque, où tout le monde, femmes hommes enfants comme grand-pères
aident à travailler aux champs pour cultiver le tabac. Lazzaro dans
son unique tenue (un maillot de corps sur un le dos) sue comme tous
les autres, trimant comme un esclave sans jamais un mot plus haut que
l'autre.
Le
secret de cette première heure de Heureux comme Lazzaro, sous
une forme volontairement dessinée comme un documentaire, avec une
attention aux gestes de ces paysans (comme les courts-métrages de
Vittorio de Seta) refuse de dire quand se passe le film et ce secret
va se révéler petit à petit. La Marquise doit arriver et son
comptable, l'ignoble Nicola sur sa mobylette, détaille tout à la
fois la paie des habitants comme leur dette qui ne cesse de
s'accumuler.
Un
couple veut se marier (le film commence ainsi), un jeune homme et une
jeune femme sont amoureux, lui chante la sérénade sous la fenêtre
de la belle. On découvre ainsi la pauvreté, la promiscuité, le
fatum qui plane sur leur vie, ce qui n'empêche pas une forte dose
d'humour. Nicola annonce qu'il doit demander l'autorisation de la
Marquise, comme à l'ancien temps. Car le jeune couple veut s'en
aller, quitter le hameau, enfin goûter la liberté.
L'arrivé
dans le coin de Tancredi, le fils de la Marquise, grand blond, au
corps maigre, oisif et profiteur, casque de walkman vissé sur le
crâne, va fasciner Lazzaro. Les deux garçons ne se quittent plus,
dans un rapport étrange et malsain, Lazzaro montre sa cachette au
pied de la montagne, Tancredi s'y installe et fomente un plan,
stupide et diabolique, pour emmerder sa mère de Marquise, faire
croire qu'il s'est fait kidnappé et demande une rançon.
L'espace
et le temps sont différents dans la deuxième heure, mais Lazzaro ne
change pas, toujours ce maillot sale sur le corps, il se déplace
dans le temps avec la même tête et le même corps quand Tancredi et
les habitants du hameau ont tous vieilli. Ce changement visite les
injustices de notre époque (Nicola marchande les salaires des
chômeurs, terrifiant), dans une ville inhumaine. C'est moins
étonnant que la première heure, moi qui suis allé voir ce film
sans rien savoir, j'ai été ravi de cette découverte.
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