Dad
et Kid, Karl Malden et Marlon Brando, un duo de gangsters qui écume
le Mexique, attaquant les banques comme tous les desperados d'un
western. Ce ne sont pas un père et son fils biologiques mais ils se
sont bien trouvés, père et fils spirituels dans la vie de
hors-la-loi. Ils n'ont pas d'attache familiale et n'entendent pas se
marier tout de suite ce qui n'empêche pas le Kid, dont le prénom
est Rio, de faire croire à la femme d'un soir avec qui il est
d'offrir cette bague qu'il vient de voler dans la banque en faisant
croire que le bijou vient de sa mère.
La
famille sera le grand sujet de La Vengeance aux deux visages.
Un père peut-il trahir son fils quand ils sont aux aguets, qu'ils
sont pourchassés par l'armée mexicaine et que la fuite semble la
seule solution. Rio pense que Dad va revenir avec deux chevaux pour
remplacer les vieilles carnes qui les ont menés jusque là. Dad ne
va pas revenir, Kid reste là, sur une colline, à faire face aux
soldats. Il ne peut pas grand chose, il va finir en prison, il va y
rester cinq ans et le récit le retrouve à sa sortie.
J'aime
beaucoup ce geste d'un acteur reconnu et adulé de tourner son
premier long-métrage (et parait-il qu'il durait des heures et des
heures avant qu'on ne l'oblige à couper dans le gras) et qu'il se
donne le rôle d'un mauvais garçon. Quand il sort de prison, il
s'est forgé une nouvelle famille, des gars pas franchement
recommandables. Parmi eux, la barbe mal rasée, Bob Amory (Ben
Johnson, tellement différent des westerns de John Ford), on voit
tout de suite que ce nouveau partenaire n'est pas sain, n'est pas un
saint.
Filmer
la mer, filmer la côte californienne et recréer la ville de
Monterey où atterrit la bande de Rio alias Kid, voilà la différence
majeure du western de Marlon Brando. C'est une idée magnifique et
superbement cinématographique. Cet océan est la dernière
frontière, au-delà ne se trouve que la mort, l'enfer dans lequel
Rio espère envoyer Dad. Ce dernier a réussi grâce au magot du
casse avec lequel il s'est enfui cinq ans plus tôt. Dad est devenu
le shérif de Monterey et s'est installé dans une maison au bord
d'une falaise.
Dad
Longsworth s'est refait une vie et s'est créé une famille. Il a
épousé une Mexicaine, Maria (Katy Jurado) et a adopté sa fille
Louisa (Pina Pellicer), bientôt adulte. Kid vient rendre visite à
ce père qui l'a abandonné, il affirme avec ce petit sourire
narquois dont Marlon Brando a le secret, qu'il n'a pas été arrêté
tandis que Dad clame qu'il n'a pas pu trouver un cheval pour le Kid.
Cette discussion de faux-semblants dans la maison de Dad se fait sous
la reproduction de la Joconde, comme un reflet énigmatique aux
sourires faux que se font les deux hommes.
Le
récit fait tomber amoureux Rio et Louisa, dans ce contexte de
famille où Dad et Kid seraient liés, cette liaison est presque un
inceste par procuration. C'est la vengeance de Kid envers son père
de crime, coucher avec sa fille adoptive. Marlon Brando est
terriblement mièvre dans la traitement de cette romance à laquelle
on ne croit jamais. Pour pimenter l'action, il crée des rapports
houleux entre Louisa et Rio, des ruptures, des réconciliations, des
reproches, des regrets. Le tout sous une musique peu inspirée.
Cette
amourette rend malade de jalousie Lon Dedrick (Slim Pickens),
l'adjoint au shérif, l'un des personnages les mieux écrits de La
Vengeance aux deux visages, cruel comme il se doit, le doigt sur
la gâchette. Il espère pouvoir épouser la fille de son patron.
Slim Pickens, avec son accent du sud, avec sa bouille, est
l'incarnation de la perversion, mais il est du côté de la Loi (avec
une majuscule). Il espère aussi pouvoir tuer Rio, ce fils prodigue
qui pourrait lui prendre sa place, lui qui est devenu le nouveau fils
de Dad Longsworth.
Marlon
Brando est à son meilleur dans la violence pure, celle des rapports
sociaux et familiaux, celle des corps épuisés qui se livrent
bataille. S'il rate toutes les scènes de baston entre ses
personnages, il réussit la séquence de la punition qu'inflige Dad à
son Kid, torse nu, il donne une vingtaine de coups de fouets puis lui
brise la main. C'est cette séquence filmée comme un extase
charnelle qui fait entrer cette unique mise en scène de Marlon
Brando, bancale mais regorgeant de plans d'une beauté intense, dans
le Panthéon des films d'acteur.
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