Le
plaisir pris à regarder Jeune femme est comparable à celui
que j'avais 25 ans auparavant avec les premiers films de Desplechin,
Ferran, Lvovsky ou Podalydès, l'impression qu'un mouvement neuf
s'emparait du cinéma. Aujourd'hui, ce premier long-métrage de
Léonor Serraille suit ceux d'Antonin Peretjatko, de Justine Trier,
mais comme au début des années 1990, ce sont des acteurs et surtout
des actrices (la révélation majeure étant Vimala Pons) qui
s'exposent au public. A la tête de cette troupe, Laetitia Dosch qui
est cette jeune femme, qui est Paula, de toutes les scènes, de tous
les plans.
Plaisir
paradoxal car Paula est une chieuse, ça on le comprend dès le début
quand elle se frappe la tête contre la porte de Joachim Deloche, son
ex, un photographe à la mode. C'est étonnant au cinéma de voir des
chieurs, des pénibles, des casse-pieds prendre le cœur du récit,
je le disais pour Gabriel et la montagne, c'était aussi le
cas de la troupe de Pour le réconfort de Vincent Macaigne.
Paula dans sa deuxième séquence, face caméra, avec son mouvement
désordonné de la main s'envole dans une logorrhée qu'elle semble
la seule à comprendre, qui ne fait sens que pour elle, si l'on en
croit le visage stupéfait du médecin qui l'ausculte.
Paula
est aussi un personnage cocasse. Dans le Paris lugubre, populaire et
souvent nocturne qui devient son nouveau terrain de jeu, elle demande
à un marchand de supérette une rouleau de PQ. Et la voilà, à
devenir Amy Winehouse le temps d'une soirée déguisée, toujours
accompagnée du chat blanc aux longs poils de Joachim, son seul
compagnon d'infortune. Elle le trimballe partout, tel un doudou de
petite fille, ce qu'elle devient parfois dans son comportement
déraisonnable entre caprices et coups de sang qui perturbent à peu
près tous ceux qu'elle croise. Passer de petite fille à jeune
femme, tel est le programme du film.
La
progression suit des étapes qui sont autant de rencontres fortuites.
Dans le métro, elle accepte de devenir l'amie de Yuki (Léonie
Simaga) qui la prend pour une autre. Dans un centre commercial, elle
tutoie un vigile, Ousmane (Souleymane Seye Ndiaye) qui la reprend
gentiment. Elle deviendra la baby-sitter de Lila, la fille d'une amie
de Yuki et trouvera enfin une petite chambre de bonne. Le chat chie
partout ce qui lui vaudra les réprimandes de la copropriété. Jeune
femme est l'inverse d'un film choral, il suit au contraire un
cheminement qui semble l'effet du hasard, un peu lâche, mais la
progression de Paula s'appuie sur ses propres contradictions.
Etre
raisonnable ou ne pas être raisonnable, telle est la question. Entre
son obsession pour Joachim, son franc-parler, ses mensonges, son
incompétence, elle doit trouver sa voie, non pas d'une normalité
(la fameuse « loi du marché » chère au cinéma social
actuel), mais un simple apaisement. Il reste quelques secrets que le
film ne résout pas, la haine de sa mère (Nathalie Richard). La
dernière scène avec Joachim (Grégoire Monsaigeon), personnage
constamment dans la pensée de Paula mais jamais vu jusque là, prend
avec l'affaire Weinstein un écho tout particulier. NB : le film a été tourné début 2016.
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