Le
même ami admirateur d'Anna Karina qui m'a permis de voir Chaussette
surprise m'a prêté son DVD de Vivre ensemble. Là, la
belle Anna n'est pas seulement actrice mais aussi réalisatrice. En
1972, alors que sa carrière de cinéma se raréfie, au moins en bons
films, dans sa période post Godard, la seule femme cinéaste en
France est Agnès Varda (et encore à cette époque, elle est aux
USA) et j'imagine que ça n'a pas dû être facile de tourner Vivre
ensemble.
C'est
sans doute pour palier un budget riquiqui, qu'elle a choisi de ne
tourner que dans une minuscule chambre de bonne (en fait un décor en
carton dans un recoin de son appartement de Saint-Germain-des-Prés,
comme elle le dit dans le bonus du DVD). L'image reste granuleuse,
quelques poussières restent collées au bas du cadre, j'avais
l'impression de retrouver les images de ces films du début des
années 1970 sans que le ripolinage colorimétrique ne soit appliqué.
Quelle chance.
Le
film commence avec Alain (Michel Lancelot, journaliste, Vivre
ensemble sera son unique film) et un de ses amis. Ce dernier, un
gros balourd, lit Playboy, se complaisant sur les photos dénudées
tandis qu'Alain prend une douche. Alain est professeur de géographie
dans un lycée des quartiers chics. Il a sa routine quotidienne,
déjeuner au bistrot à midi et le soir, il retrouve son épouse
Sylvie qu'il trompe sans même se cacher. Elle va vite le quitter.
C'est en se promenant avec son pote qu'il croise à la terrasse d'un
café Julie que joue Anna Karina.
Je
dois avouer que je ne l'ai pas tout de suite reconnue. Je n'ai vu
aucun de ses films post-Godard et son physique a un peu changé, mais
le sourire est toujours là. Elle n’apparaît pas en vamp mais au
contraire, c'est le naturel de ses tenues, simples débardeurs,
cheveux en fil, maquillage typique de l'époque. La comparaison avec
son visage jeune en photo sur le mur de sa chambre est ineffable.
Pour résumer, cette demoiselle Julie est une baba cool, une
soixante-huitarde un peu attardée (le film appuie sur les affiches
de Mai 68).
Elle
vit de rien, elle se prostitue parfois, elle aurait été mariée
jadis et aurait un appartement à New-York. Ses amis sont bruyants,
ils fument des joints, ils sortent en discothèque. Alain, qui
s'installe chez elle, ne supportent pas ces gens, il le fait
remarquer en faisant la gueule. Mais il reste, il quitte son travail,
il quitte sa femme, il abandonne ses habitudes bourgeoises pour
adopter, petit à petit la vie de Bohème de Julie. Dans un mouvement
inverse, Julie devient plus sage, prend un travail de vendeuse et
tombe enceinte.
La
construction de Vivre ensemble est très simple, en 6
chapitres annoncés par des beaux cartons colorés écrits par Jean
Aurel. Au milieu du film, le couple s'envole pour New-York. C'est
extraordinaire de voir à quoi ressemblait le quartier de Harlem en
1972, une sorte de bidonville, des buildings en ruine mais aussi des
néons partout, des manifs contre Nixon, le bruit de la ville. Ce
film unique, plein de mélancolie et parfois de fulgurance burlesque,
est l'unique bébé d'Anna Karina, sa revanche sur la Nouvelle Vague.
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