« C'est
l'histoire de trois couples qui ont un accident de voiture, les
hommes passent un mois à l'hôpital et les femmes, pendant ce temps,
s'émancipent ». Chaussette surprise est une magnifique
bizarrerie d'une loufoquerie constante et libertaire que j'ai vue cet
été. C'est l'un de mes amis, le plus grand fan que je connaisse
d'Anna Karina, qui m'a habilement suggéré de regarder ce film.
C'est justement Anna Karina, lunettes sur le nez, manteau rouge (sa
couleur dans le film) qui ouvre le récit. Son mari, Bernard Le Coq
est un sacré inventeur qui teste sa chaussette d'évacuation. Bien
commode en cas d'incendie ou d'accident pour sauver les gens.
Dans
la rue, un badaud observe avec admiration cette expérience réussie.
C'est Rufus, brocanteur lunaire qui collectionne les boîtes de
camembert. Il est marié avec Bernadette Lafont, clope au bec, elle
est multi-tâche, elle repasse, prépare le dîner et répond au
téléphone, magnifique de vulgarité dans son pantalon motif
léopard. Mais attention, elle a beau être un peu frivole, c'est une
tête, d'ailleurs, elle participera à un jeu télé animé par
Lucien Jeunesse. La spécialité de Bernadette, c'est les poissons,
elle les connaît tous sur le bout des doigts. Rufus et Bernadette
ont deux enfants, la grande fille est jouée par Agnès Soral.
Le
dernier couple du film est composé de Christine Pascal et Bernard
Haller. Elle est dans le cinéma. Ce qui implique trois choses. Pour
gagner sa vie, elle est caissière dans un cinéma du Quartier Latin
ou fait des postsynchronisation de films porno, un domaine que
Jean-François Davy a bien connu. Son ambition est d'être
comédienne, elle va passer une audition d'un film réalisé par
Henri Guybet. Bernard est un artiste qui passe son temps à écrire
le scénario d'un film (c'est lui qui à la fin de Chaussette
surprise trouve l'idée du scénario que l'on vient de voir). En
attendant, il fait une publicité pour un chapeau à lapin pour la
télévision.
Ces
trois couples se croisent par hasard au coin d'une rue dans un
accident de voitures. C'est une construction en gigogne, à la
marabout de ficelle, qui entame le film. Aucun de ses trois hommes et
trois femmes ne se connaissaient avant que les deux Bernard et Rufus
se retrouvent à l'hôpital avec un quatrième acolyte, Michel
Galabru, le personnage le plus solitaire et le plus mélancolique. Il
se trimbale avec une grosse télé sur les bras, télé qui sera
gravement amochée dans l'accident de voiture, et qui mérite encore
plus de soin que lui-même. Ils seront dans la même chambre
d'hôpital, surveillés par une chef de service acariâtre (Micha
Bayard) et soignés par un médecin strict (Claude Piéplu).
Le
film ne s'embarrasse guère de fil narratif grammaticalement correct
(pour reprendre une expression abusive) pas plus que de cadrer
vraiment les prénoms des personnages. On reconnaît tous les
acteurs, largement suffisant, pas besoin de sortir les prénoms à
chaque dialogue. On passe de l'hôpital avec les quatre hommes aux
autres lieux, l'appartement de Christine Pascal où le fils de
Barnard Haller fait que ce qu'il ne dit pas, à la maison en banlieue
de Bernadette où son propriétaire en viager (Marcel Dalio) attend
ses traites (Bernadette connaît au centime près ce qu'elle doit à
ses créanciers) ou au bureau d'Anna Karina qui cherche à vendre le
brevet de son Bernard, même s'il préfère rester pauvre mais
inventif.
On
parle beaucoup d'argent dans le film, tout le monde est fauché, on
ne vit pas dans l'opulence, mais chacun a son petit objet fétiche
dont il ne se séparerait pour rien au monde. Les camemberts (qu'un
curé cherche à piquer), un train électrique, une télé, seul
Bernard Haller n'est pas matérialiste, il ne fait qu'imaginer des
scènes parallèles avec les gens qui l'entourent, écrivant au pied
levé son scénario. La chambre d'hôpital se transforme en cour de
récré, les deux Bernard sont en verve, jamais pris de court pour
une facétie, pour draguer les infirmières et les faire participer à
leurs jeux de gamins souriants, au grand dam du médecin obligé de
siffler la fin de la récré.
La
subtile patte de Jean-Claude Carrière se fait sentir au scénario.
Il joue d'ailleurs un petit rôle dans le film, il tente de séduire
Anna Karina. C'est un burlesque réaliste et fantasque qu'il concocte
dans Chaussette surprise. D'autres acteurs et actrices
viennent faire un petit rôle. Laurence Badie est la secrétaire
d'Anna Karina, Romain Bouteille un dragueur, Michel Blanc un interne,
ces fameux personnages sacrifiés comme le disent les deux
brancardiers, cette distribution est comme une réconciliation entre
la Nouvelle Vague et la comédie de café théâtre mais où la
télévision viendrait rappeler que c'est elle désormais qui fait la
loi.
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