Au
beau milieu d'une répétition du soap opera dans lequel joue Dorothy
Michaels, l'actrice se tourne énervée vers le réalisateur Ron
Carlisle qui vient de s'adresser à elle et lui répond vertement
« Ron ? J'ai un prénom, c'est Dorothy. C'est pas Tootsie,
ou Toots, ou chérie ou bébé ou poupée. Non, Dorothy. Alan c'est
toujours Alan, Tom toujours Tom et John toujours John. Moi aussi j'ai
un prénom, c'est Dorothy. D-O-R-O-T-H-Y. » Cette histoire de
prénom dans l'une des scènes les plus emblématiques de Tootsie
est d'autant plus ironique que Dorothy Michaels n'existe pas, elle ne
s'appelle pas Dorothy, ni Tootsie, mais Michael Dorsey et bien
entendu les deux personnalités sont incarnées avec bonheur et
jubilation par Dustin Hoffman (son meilleur rôle, oui, messieurs
dames).
Avant
de revêtir la robe de vieille fille et les lunettes qui lui mangent
le visage, Michael vit déjà une double personnalité. Dans le
générique, on le découvre se maquillant, non pas pour se travestir
en femme, mais pour poser une fine moustache. Michael est un acteur
raté, ou plutôt, il court les castings de Broadway. Chaque fois il
ne convient pas, trop petit, trop grand, trop ceci, pas assez cela.
Pour gagner sa vie, il a deux boulots, le premier est noble, il
enseigne le théâtre, le deuxième alimentaire, il bosse dans un
restaurant avec son colocataire Jeff (Bill Murray). Mais en vérité
si Michael Dorsey ne trouve pas de travail ni au cinéma, ni à la
télé, ni au théâtre, c'est parce qu'il est insupportable.
Son
agent artistique depuis 20 ans, George Fields (Sydney Pollack)
énumère avec cruauté tous les caprices de Michael que ce dernier
tient pour des exigences artistiques. « Quand tu jouais une
tomate pour une pub, le tournage a pris deux jours de retard parce
que tu n'as pas voulu t’asseoir », et Michael de lui
rétorquer qu'il est illogique qu'une tomate puisse s’asseoir. Plus
personne ne veut travailler avec lui mais le comédien va prouver à
son agent qu'il peut bosser. Ainsi, il pourra aider à la production
de la pièce qu'écrit Jeff, lui aussi un velléitaire, mais dans un
autre genre, il ne cesse de récrire et n'arrive pas à finir cette
pièce. Michael aide une de ses élèves Sandy (Teri Garr) à répéter
pour ce rôle de Dorothy, mais elle ne le décroche pas. Michael va
prendre sa place, devenir une autre femme et obtenir un contrat.
Enfin du boulot !
Je
n'avais pas revu Tootsie depuis des années et le film n'a pas
vieilli, il est drôle et s'avère d'une grande pertinence non
seulement sur l'univers des séries télé, milieu rarement filmé,
parce qu'ingrat, de la soupe pour spectateurs, caricaturé avec
humour et crédibilité, mais aussi sur la sexualité. En début de
film, Michael est montré, lors de sa fête d'anniversaire, comme un
prédateur sexuel. Plus précisément un dragueur, mais franchement
minable. Toutes les filles fuient devant son charme qu'il imagine
irrésistible. Il jette finalement son dévolu sur Sandy au
tempérament instable (elle lui fait des scènes de ménage au
téléphone parce qu'il oublie leurs rendez-vous). A partir du moment
où Michael devient Dorothy et que Dorothy devient Emily, son
personnage de chef de la clinique dans le soap opera, tout change,
tout se dérègle, tout se dédouble.
Il
remarque sa collègue Julie (Jessica Lange) qui joue l'infirmière
légère (« I'm the slut », je suis la salope, dit-elle à
Dorothy) qui sort avec Ron (Dabney Coleman) le réalisateur. Et
évidemment Michael tombe amoureux de cette pimpante blonde au
sourire ravageur. Julie devient proche de Dorothy, elles répètent
leur texte ensemble. Julie présente son père Les (Charles Durning)
à Dorothy et Les, veuf, s'entiche de Dorothy. Et le vieux beau de la
série, acteur médiocre incapable d'apprendre son texte, John Van
Horn (George Gaynes) ne peut pas s'empêcher de vouloir séduire
Dorothy, exactement comme le faisait Michael lors de son
anniversaire. Pendant ce temps, Sandy est persuadée que Michael est
gay, Julie pense que Dorothy est lesbienne et John Van Horn croit que
Jeff est le petit-ami de Dorothy.
L'emballement
du récit se développe sur plusieurs tons. L’ambiguïté sexuelle
entre les personnages relève du théâtre de boulevard, tout est
quiproquos, portent qui claquent, engueulades et dialogues de sourds.
Le soap opera est une hilarante parodie de la télévision américaine
de bas étage et lorsque Dorothy improvise ses répliques au grand
dam des acteurs et de l'équipe de tournage, l'humour est
démultiplié. Qui plus est, son personnage devient une figure du
« féminisme », un féminisme à la sauce Hollywood
illustré dans l'habituelle scène des couvertures de magasine. La
romance entre Julie et Michael est plus classique mais jamais sur le
ton de la comédie. C'est l’imbrication de ces éléments qui
permet, comme Victor Victoria sorti la même année sur un
thème proche, de rester si recommandable.
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