Le
6 janvier 1948, le Président de la République du Chili a décidé
d'emprisonner les communistes, avec l'accord (et évidemment à leur
demande) des Etats-Unis lancés dans la chasse aux sorcières. Et le
communiste le plus célèbre du Chili, alors, était le poète Pablo
Neruda (Luis Gnecco). Ce dernier était également sénateur et avait
appelé à voter pour ce président deux ans plus tôt, l'ouverture
de Neruda
se fait ainsi dans les chiottes du Sénat où les discussions sur
l'interdiction du Parti Communiste sont houleuses et considérée par
le poète comme une trahison.
Neruda,
c'est un homme au physique enveloppé que sa compagne, la peintre
Delia (Mercedes Moran) maquille pour la réception donne dans leur
vaste maison. Neruda va accueillir ses invités déguisé en Lawrence
d'Arabie, réciter un poème et admirer les femmes, sa troisième
passion après la poésie et la politique. Mondains, Neruda et son
épouse le sont jusqu'au bout des doigts, mais cette vie paisible va
changer avec l'arrivée des camarades qui lui affirment qu'il doit
s'exiler, qu'il doit passer à la clandestinité. Ce que Neruda
refuse tout net.
« Neruda
traître », « Neruda communiste », voilà ce que
les affiches placardées partout à Santiago affirment. Les camarades
les arrachent. Neruda en est fier. « Il faut les conserver pour
la postérité », déclare-t-il en souriant devant ses amis
qui, eux, ne rigolent pas devant la menace. Neruda n'en fera qu'à sa
tête. Il accepte tout de même de quitter sa demeure pour un
minuscule appartement. Mais dès qu'il le peut, il va se promener.
Dans un bordel où il a ses habitudes, en auto où il demande au
chauffeur de klaxonner pour réveiller le Président.
Le
film de Pablo Larrain pourrait être un de ses nombreux biopics
actuels basé sur des faits réels mais le cinéaste chilien déjà
auteur de l'épatant No
sur le référendum qui mit fin à la dictature de Pinochet (que l'on
aperçoit en gardien du camp où sont retenus les communistes) va
aborder cette histoire de son pays avec un ton et une esthétique
originaux. Le film procède par une série de dérèglements
narratifs, histoire de ne pas tomber dans l'académisme de la
reconstitution, l'image est ainsi « traitée » comme si
elle avait été délavée.
Tout
est construit comme une course poursuite lente et nonchalante. Neruda
est poursuivi par un inspecteur nommé Oscar Pelichonneau (Gael
Garcia Bernal), jeune blanc-bec à fine moustache qui jure au
Président d'arrêter Neruda. Oscar est persuadé d'être le fils
bâtard du fondateur de la police chilienne. Cette poursuite se fait
souvent en voiture des vitres desquelles on aperçoit le paysage des
villes et villages en transparences, volontairement bâclée. Un
effet visuel qui offre à l'image un aspect vieillot, des couleurs
sépia et une impression de flottement.
La
voix off d'Oscar dirige la narration évoquant la personnalité
arrogante et fantasque de Neruda face à celle d'Oscar, plein
d'orgueil et de naïveté. Les deux hommes se toisent, se répondent
pourtant les deux personnages ne se croisent jamais dans le film. Le
poète, dans sa fuite, laisse à chaque étape un polar à
l'inspecteur. Les livres remplis de « sexe, de crimes et de
violence », les passions de Neruda selon Delia accompagnent
Oscar. Le film se transforme de biopic politique en réflexion sur la
narration. Après cette réussite enthousiasmante, j'attends avec
impatience son film sur Jackie Kennedy le mois prochain.
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