Pour
bien se rendre compte combien The Fits se démarque dans le
paysage du cinéma indépendant sur des adolescents américains, il
faut sans doute commencer par dire tout ce que y est absent du film.
Tout d'abord les adultes en général et les parents en particulier.
On ne rentrera non plus jamais dans l'appartement des personnages.
Tout juste évoquent-ils leur maman (« tu diras à maman que je
rentrerai plus tard » ou « tu vas te faire gronder par ta
maman » quand notre jeune héroïne se fait percer les
oreilles), on suit le frère et la sœur quelques secondes entre le
centre Lincoln et les immeubles d'un quartier de Cincinatti, mais
rien qui ne donne vraiment d'indices particuliers sur leur classe
sociale, une famille qu'on imagine pas très riche.
Cette
gamine que la réalisatrice Anna Rose Holmer (dont c'est le premier
long-métrage de fiction après quelques documentaires) suit à
trace, à la Rosetta, se prénomme LaTonia (Royalty Hightower)
mais elle se fait appeler Toni. Le film quittera peu ce centre
communautaire Lincoln où on découvre qu'elle fait de la boxe avec
son grand frère Jermaine (Da'Sean Minor). Uniquement des garçons
dans la salle de boxe, des ados. Elle aide à ranger et notamment à
apporter à l'étage une bonbonne d'eau. Là, des jeunes filles du
club de danse la toise. Elles la traitent de garçon manqué (tomboy
en VO). Et Toni observe par l’entrebâillement de la porte, par une
fenêtre dérobée (un motif qui reviendra plusieurs fois) les filles
faire du drill, se déhancher sans musique, onduler leur corps
d'adolescentes, remuer frénétiquement. Toni est attirée par ce
groupe et va l'intégrer.
« Don't
mess lionesses ». Le centre Lincoln est le foyer des Lionnes,
c'est ainsi que s'appelle le groupe des danseuses qui se préparent à
la parade qui quartier et au concours de danse. Les leaders Karisma
(Inayah Rodgers) et Legs (Makyla Burnam) font passer des auditions
aux plus petites. Toni y prend part. Elle tente maladroitement de
suivre la chorégraphie. Elle fait surtout des gestes de boxe, sans
grâce, mais qui produisent un petit effet d'humour. Mais l'essentiel
est ailleurs, pour la première fois, Toni se fait une amie, Beezy
(Alexis Neblett) petite poupée à couettes quand Toni est un garçon
manqué à nattes. Les deux enfants de dix ans ne vont plus se
lâcher, elles vont partager de nombreux moments ensemble. Les robes
pour le concours sont arrivées, elles rentrent de nuit dans les
vestiaires et les essaient secrètement. Toni se fait percer les
oreilles pour être comme Beezy. Toni enseigne à Beezy quelques
mouvements de musculation.
Là
encore, la cinéaste évite l'écueil de l'édification d'une enfant
solitaire qui trouvera dans la danse sa voix, on n'est ni dans Sexy
dance ni dans Billy Elliott, ni dans American girls.
Ce qui arrive est que certaines danseuses sont prises de convulsions
(the fits du titre du film) filmées au milieu des
mouvements saccadés du drill comme d'autres mouvements plus
sauvages. Ces convulsions sont une expérience quasi mystique et
proche du fantastique. Toni et Beezy en discutent dans un lieu
désert, au beau milieu de la piscine vide du centre. Jusqu'alors,
The Fits était très documenté (j'ai souvent pensé à
l'approche de Frederick Wiseman) et cette ouverture fantastique est
un appel d'air. L'absence d'explication est une chance pour le
spectateur, c'est une confiance offerte rare et précieuse, tout
autant que la douceur avec laquelle Anna Rose Holmer dépeint ses
jeunes personnages, cette enfant Toni un peu brusque, pas très
bavarde mais au regard sûr et à l'étonnement constant de la vie
qui arrive enfin pour elle.
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