mercredi 19 février 2020

Nosferatu (Friedrich Wilhelm Murnau, 1922)

Avant que Nosferatu n'apparaisse dans toute son horreur au spectateur, il faut un peut ménager le suspense, distiller des indices et fournir des renseignements sur ce Comte Orlok qui vit en Transylvanie, si loin de Wisborg où le jeune homme Jonathan Hutter (Gustav von Wagenheim) vit et travaille. C'est d'abord une lettre reçue qui annonce l'étrangeté, elle n'est pas écrite avec un alphabet habituel mais par des signes inconnus, des formes géométriques, des cercles indéchiffrables pour le jeune clerc.

Le seul qui semble comprendre ce langage est le patron de Jonathan, il est déjà sur la pente de la folie ce Knock (Alexander Granach), son visage et ses attitudes le disent. Mouvement rapide des yeux, bouche ricanante, cheveux hirsutes et les sourcils qui se tiennent d'un seul morceau. Knock exige que Jonathan se rende en Transylvanie. Le jeune homme doit annoncer à son épouse Ellen (Greta Schroeder) son départ immédiat. Elle se languit déjà de lui autant qu'elle s'inquiète de ce périple.

Que veut le comte ? Acheter une maison à Wilborg, plus exactement s'installer dans un bâtiment en ruine qui se trouve juste en face de l'appartement de Jonathan et Ellen. Cela ajoute encore plus à l'étrangeté qu'un aristocrate choisisse un lieu si délabré et lugubre pour habiter. De la fenêtre de leur logis, Ellen observe ce lieu sinistre augmentant son incompréhension. Elle avertit Jonathan du danger, mais insouciant, celui-ci ne voit pas ce qu'il y a à redire. Cependant, il ne laisse pas Ellen seule, elle va habiter chez des amis.

Il fanfaronne notre jeune héros, il fait le malin dans une auberge des Carpathes. Il mentionne le nom d'Orlok. Immédiatement, les visages des aubergistes comme des clients se figent. La lecture d'un livre à sa table de chevet continue de le faire rire. Cet ouvrage décrit par le menu le cas Nosferatu, sa vie, comment il se nourrit de sange et comment il attaque les victimes mais Jonathan Hutter refuse de voir les signes tels ces chevaux qui fuient la nuit, ces animaux effrayés dans la forêt. Le lendemain, il jette le livre hilare devant ces balivernes.

Il va bien devoir le rencontrer ce vampire, en même temps que le spectateur au bout de 25 minutes de Nosferatu. D'autres signes abondent encore avant cette rencontre : la calèche expédiée par le comte avance en accéléré dans un effet visuel, les chevaux sont habillés de noir et dans un court plan, Murnau inverse positif et négatif pour indiquer que Hutter est passé d'un monde à l'autre, celui des vivants à celui des morts. Puis c'est le comte Orlok qui l'accueille en personne dans un tunnel où il se tient droit comme un I.

Je me suis toujours demandé qui est ce Max Schreck qui incarne ce Nosferatu, il est parfait. Corps immense, bras très long, d'une grande maigreur, mains crochues et ce visage de dingue, yeux mâchurés de noir, immense nez, chauve et deux dents pour recueillir le sang. Ce ne sont pas encore les canines qui percent la peau mais les incisives supérieures. Pour l'instant, il est très accueillant, il offre un repas à Hutter qui se coupe. Sa réaction ne se fait pas attendre, Orlok est attiré par ces goutes de sang.

L'envoûtement est double. Dans le château d'Orlok, Jonathan Hutter est hanté dans ses rêves par le vampire. Il découvre son repaire où il dort dans un cercueil. À Wilborg, Ellen est sujette à du somnambulisme, elle réagit à distance à Orlok qui a vu, dans un médaillon, son visage. Elle ne sait pas encore qu'elle est la prochaine victime du comte. Pendant ce temps, Hutter tente de s'enfuir du château, en vain. Les portes sont fermées. Il s'échappe par une fenêtre, tombe et se blesse. Pendant ce temps, Orlok prépare ses cercueils pour se rendre à Wilborg.

Mais comme si les aspects surnaturels déployés par l'image prouvant la magie noire de Nosferatu (image est d'ailleurs l'anagramme de magie) n'étaient pas suffisant, Friedrich Wilhelm Murnau va aussi vers l'explication rationnelle autour du sang et des autres corps naturels qui se nourrissent de sang et de chair, telle cette plante carnivore ou cette organisme primitif. Cette ambivalence du cinéaste pousse encore plus vers le surnaturel réaliste, dans une alliance entre le fantastique et la vie simple du couple. C'est cela qui fait de Nosferatu un film toujours étonnant.

L'image la plus marquante est celle de Nosferatu lors du trajet en bateau entre la Transylvanie et le nord de l'Allemagne. L'équipage est décimé par la peste, par les rats du cercueil du vampire. Orlok sort de son cercueil à l'horizontal et dans un mouvement ascendant, il se lève droit en un seul plan. Tout aussi beau, le montage organique entre Ellen et le vampire qui se répondent dans les regards et les postures à des milliers de kilomètres en deux plans où comme si Ellen appelait Orlok. Les deux visages pourtant partent dans des directions opposées.

L'ombre est l'alliée du Nosferatu. Murnau joue sur les ombres longilignes de son acteur, sur ses formes qui posent en surimpression et en ombre sur les murs, il joue encore sur l'accéléré pour le transport des cercueils. Le soleil est l'ennemi de Nosferatu. Tandis que la peste fait mourir les habitants de Wilborg, Jonathan rentre chez lui. Parce qu'il sait, grâce au livre qu'il avait auparavant rejeté, il peut combattre le vampire. Tout se joue dans un contre la montre à distance pour faire disparaître l'envoutement subi par Ellen, jusqu'à ce que le coq chante un matin.














































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