Au
nombre des éléments que j'aime analyser dans les films, il y a les
tenues des personnages, ce qu'ils portent, ce que les vêtements
veulent dire dans telle ou telle situation. Quand un film a pour
titre La Cravate,
ça me parle immédiatement. Le jeune homme, pas encore 25 ans, se
prénomme Bastien, il vient de la Somme et on lui demande de porter
une cravate pour faire bien. Il faut absolument qu'il paraisse
exemplaire. Pour ainsi dire, qu'il devienne invisible au milieu des
gens.
On
est il y a quelques années, en 2016, avant l'élection
présidentielle, celle qui a vu Macron affronter Madame Le Pen, comme
le dit la voix off du film. Bastien est devant la caméra des deux
cinéastes mais il a encore du mal à être dans le cadre, dans le
plan. Les dirigeants du FN de la Somme, la dame en tailleur strict,
les deux hommes en costumes cravate, viennent observer ce gars au
visage d'enfant, au corps massif, portant un jeans trop grand et un
sweat à capuche. Les cadres du FN finissent par le laisser tracter
seul.
Avant
de porter sa cravate, Bastien se contente de porter ses vêtements de
tous les jours quand il est au marché pour distribuer des tracts du
Front National. C'est dans l'intimité de son appartement qu'il
dévoile ses tenues de tous les jours, sa rare touche de couleur,
elle est sur ses caleçons. C'est dans l'intimité de son travail
qu'il porte une sorte d'armure, il travaille dans une salle de jeux
vidéo. Il fait le ménage, Bastien est une sorte de Cendrillon de la
politique.
Être
dans le cadre, pourquoi pas devenir cadre du FN. C'est une certaine
ambition de Bastien. Il est devenu secrétaire de section, il ouvre
la boutique chaque matin, prépare des communiqués en attendant le
petit chef local, Eric Richermoz. Bastien lui laisse sa chaise quand
il arrive. Eric est un ami de Bastien et il porte la cravate et le
costumes transparent. Il ressemble à n'importe quel jeune homme
politique sans aspérité, en le voyant il pourrait être du PS ou de
LR.
C'est
donc le destin de Bastien que suit La Cravate sur ces quelques mois
de campagne électorale. Il entend bien monter les échelons
rapidement. Eric et lui vont en Paris pour rencontrer le N°2 du
parti. Voilà Philippot qui entre dans la pièce et se laisse filmer
pour la page youtube que crée pour lui Bastien. Une seule idée :
faire le buzz. Le buzz se fera, pas forcément à l'avantage de
Philippot Bastien est fier. Mais il sera évincé par un cadre qui
doit être plus lisse que lui.
Le
FN il en rêve le jour et la nuit. C'est sa passion. Il est amoureux
des « idées » il espère qu'il pourra les défendre lors
des législatives. Il se verrait bien député de la Somme. Il
connaît Philippot, il porte désormais la cravate. Les cravates
même. Eric lui en fait acheter plusieurs, il faut apprendre à les
porter, à se fondre dans le moule et il y arrive. Mais un pote de
Philippot, Franck de La Personne sera candidat. Bastien est dégoûté
mais il continuer de militer, de tracter.
On
revient sur le passé de Bastien. Comment ? En discutant
longuement. Le film est composé d'une voix off constante, celle
d'Etienne Chaillou. En tout début de film, il présente le texte du
commentaire à Bastien. Un texte très écrit, tout en analyse sur
cette vie que Etienne Chaillou et Mathias Théry ont filmé pendant
ces quelques mois. Bastien, face caméra, lit et annote parfois ce
texte. Il esquisse parfois un petit sourire, il est souvent d'accord
avec le ton du commentaire.
La
Cravate c'est l'antithèse de
Chez nous,
la fiction sur le FN de Lucas Belvaux. La
Cravate est un documentaire
comme on en voit rarement (le précédent film du duo était un
documentaire en animation, La
Sociologue et l'ourson,
j'en avais dit ici le plus grand bien),
à la fois dans le pamphlet et dans l'analyse clinique, jusqu'à
parfois irriter. Ça prend du temps à se mettre en place mais ça
semble être une bonne méthode pour déshabiller l'idéologie du FN
dont l'unique objectif est de faire du pognon.
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