mardi 18 février 2020

Plogoff, des pierres contre des fusils (Nicole Le Garrec, 1980)


« CRS au mazout. Libérez nos camarades ». Ce sont deux des nombreux slogans que les habitants de Plogoff scandent lors des manifestations. La commune du fin fonds de la Bretagne a souffert en 1978 de la marée noire et deux ans plus tard c'est le projet de dinguos de Giscard de faire une centrale nucléaire au beau milieu de la Pointe du Raz. On n'avait pas de pétrole mais on avait des idées, comme le disait la publicité de l'époque encourageant aux économies d'énergie.

Plogoff des pierres contre des fusils est le journal intime des résistants à cette idée d'une centrale nucléaire à cet endroit. La commune est occupée par les « gardes mobiles » comme disent les habitantes de Plogoff, les héroïnes du film. Ces gardes mobiles entourent une camionnette nommée pudiquement « annexe de la mairie » par le préfet, donc par Giscard. Car le maire de Plogoff refuse que son hôtel de ville accueille l’enquête d'utilité publique.

Chaque jour les femmes de tout âge, grand-mère (l'une d'elle parle breton), enfant, adolescente, épouse viennent narguer les CRS, ces fameux gardes mobiles. Elles se placent devant eux, elles leur demandent s'ils n'ont pas honte, s'ils n'ont pas de mère. Quelque chose d'euphorisant se passe devant nos yeux, on n'y croit à peine qu'elles viennent les provoquer ainsi. Certains jeunes CRS craquent, ils ne supportent l'affrontement.

Les femmes se réunissent après la bataille dans les cuisines. Elles discutent de la situation. C'est leur voix que le film enregistre en priorité. Elles ne manquent pas d'humour pour décrire la situation. Elles ne manquent pas de courage pour retourner sur le front pour faire face aux policiers (ils seront bientôt suppléés par des parachutistes) qui pour l'instant gardent à peu près leur calme, ils n'osent pas frontalement affronter les femmes.

Ce sera de courte durée, les tirs de gaz lacrymogène commencent à envahir le ciel et les champs. C'est le répression policière telle qu'on l'a connaît encore aujourd'hui (je pense plus aux ZAD de l'aéroport Notre Dame des Landes, au Center Parc de Roybon). Mais en 1980, Nicole Le Garrec pouvait filmer ces images au plus près de la marée-chaussée. Elle frôlait les casques, les matraques, on entend distinctement les ordres d'attaque et de repli sous les huées des habitants.

Les actes de résistance montre une collectivité. En début de film, on voit une chaîne humaine de nuit, quand les CRS sont en train de dormir. Ils transportent des pierres qu'ils placent sur des carcasses de voitures. Une fois ce gros tas monté, ils foutent le feu. Le lendemain cela constitue un obstacle infranchissable. Les CRS devront passer des heures pour enlever cet amas. Le lendemain ce sera par exemple un arbre tombé sur la route.

Giscard, son préfet de police et ce directeur de l'enquête d'utilité publique n'avaient sans doute jamais cru qu'un peuple de pécores puisse donner un avis contraire. Le nombre de manifestants ne cesse de grandir. Après la marée noire, la marée humaine. Quelques habitants sont arrêtés. Pas de problème, la marée humaine se rend devant le tribunal et scande ces slogans énoncés plus haut « CRS au mazout. Libérez nos camarades ».

C'est une union des résistances qui se met en place. En cette année 1980, Giscard a eu une autre idée géniale : implanter au Larzac une zone militaire. Les Bertons aident le Larzac et vice-versa. Cela aussi c'est très beau dans le film tourné en urgence. Rarement un tel témoignage m'a semblé aussi juste et réfléchi. Après la chute largement mérité de Giscard en 1981, ces deux projets, Plogoff comme Larzac sont abandonnés.

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