Ça
a du faire un drôle d'effet aux spectateurs italiens de 1969 de
passer de Juliette des esprits à Fellini-Satyricon,
d'un film diurne, ensoleillé, tourné sous l'ombre des pins de Rome
avec Giulietta Masina à une sombre adaptation d'un texte antique où
Federico Fellini refuse l'académisme de ce genre de film (on aurait
pu l'assimiler au péplum) pour la nudité des décors et des corps,
dans tous les sens du terme. Avec Satyricon, Federico Fellin
entame une révolution esthétique personnelle, d'une beauté comme
rarement on n'en a vu au cinéma, qui durera plus de 20 ans jusqu'à
son dernier film La Vocce della luna.
Le
dieu noir et le diable blond, à moins que ce ne soit l'inverse, se
disputent leur esclave sexuel Giton (Max Born), une tout jeune homme
blond au visage à la fois enfantin et provocateur. Encolpe (Martin
Potter) hurle contre son amant Ascylte (Hiram Keller) au vol. Ascylte
a vendu le giton à un homme de théâtre et Encolpe va traverse
toute cette tour de Babel, aux murs gris, aux escaliers raides, au
portes ouvertes, à la recherche de son esclave. Un théâtre aux
comédiens aux visages grimaçants, au corps abîmés, aux costumes
rapiécés, Giton brille de sa beauté juvénile au milieu de ce
cloaque.
La
nudité des trois personnages est le premier choc esthétique dans
Satyricon. Jamais Federico Fellini n'avait filmé les corps des
jeunes acteurs, approché leur peau et leur visage. Encolpe, Ascylte
et Giton ne porte que des pagnes libérant leur sensualité dans ce
lupanar qui va vite s'effondrer, (c'est la métaphore de la Tour de
Babel). Mais surtout Fellini filme une scène d'amour entre Ascylte
et Giton (ce dernier l'a choisi plutôt qu'Encolpte, à son grand
dam), avec de simples gestes, une main qui se pose délicatement sur
une autre, des regards qui se croisent. Tout ça avant que tout ne
s'effondre et que le trio ne soit séparé.
Une
chose est absolument délirante dans Fellini-Satyricon, ce
sont les regards caméra des figurants, acteurs et silhouettes.
Jamais il n'y en a autant dans un film de Federico Fellini. Là ces
regards au spectateurs sont le plus présents c'est dans ce décor de
tout de Babel. La caméra est très mobile, elle fait des mouvements
lents et c'est toute la chorégraphie du cinéaste qui se met en
branle, enregistrant eu fond l'action et au premier plan ceux qui
observent l'action, dans ces moments-là certains visages se
tournent, détournent le regard de l'action, du théâtre, pour
regarder la caméra, le spectateur, c'est dire à quel point ce film
nous regarde.
Régulièrement,
je lis Astérix chez les Helvètes sorti quelques mois après
Satyricon. Dans les premières pages de la bédé de Gosciny
et Uderzo, un Romain organise des orgies où la nourriture abonde, où
les esclaves ne cessent jamais de servir les invités et où les
visages des femmes sont atrocement grimés. Dans cet album, l'une
d'elle dit « prête-moi ton vert à lèvres, je vais me refaire
une laideur ». J'ai toujours pensé que cet album d'Astérix
avait été très largement inspiré pour ces scènes d'orgie par le
film de Federico Fellini. L'orgie occupe toute la seconde et longue
séquence chez le riche Trimalcion (Mario Romagnoli).
Pendant
deux heures de film, Encolpe et Ascylte vont se provoquer, se battre,
se moquer l'un de l'autre (Fellini excelle à filmer les visages
hautains et dédaigneux de ses acteurs), ils vont se poursuivre dans
une quête infini dans la Rome antique païenne, sauvage et barbare
qui se love parfois dans la mythologie grecque. Les deux amants se
séparent en début de film pour une histoire de cul et vont ainsi
mettre deux heures pour se retrouver et s'aimer à nouveau. Les deux
hommes vont être séparés, se retrouver et aller vers des chemins
différents. Chaque fois qu'ils sont séparés, ils seront faibles,
unis et ensemble, ils sont accomplis.
Après
les orgies chez Trimalcion, Encolpe embarque pour la mer. Après de
longues minutes sombres, le film accède au soleil. Il tombe sur une
roi fou, Lichas (Alain Cuny) au regard plus dément que jamais.
Lichas tombe immédiatement amoureux d'Encolpe mais ce dernier,
freluquet pédant, compte résister au vieil homme. Lichas provoque
le jeune blond à la lutte. Le prix : si Lichas gagne, il épouse
Encolpe. Lichas, fort comme un bœuf, gagne le combat de lutte. Il
faut le reconnaître, c'est cocasse de voir Alain Cuny dans cette
posture.Ce qui est fait sur une galère devant Ascylte hilare qui se
moque de son amant.
Le
film poursuit son périple jusqu'à l'épuisement de ses deux héros,
ce qui signifie tout simplement qu'Encolpe est impuissant (après le
passage chez l'hermaphrodite puis le minotaure – incroyable
ambiance sonore de cris scandés par les spectateurs réunis en haut
d'une colline pour observer le combat contre le minotaure). Ce sera à
nouveau Ascylte qui va réveiller l'appétit sexuel d'Encolpe dans un
ballet sur une balançoire, mime de copulation. Plus de deux heures
de beauté intense, de sensualité convulsive, Fellini-Satyricon
c'est vraiment le film italien païen sans les écueils métaphysiques
de Pier Paolo Pasolini.
2 commentaires:
passage difficile du grand au petit écran,
le rythme s'en ressent, les décors fabuleux
perdant aussi de leur puissance.
Mais sinon, quelle baffe !
J'avais vu le film sur grand écran en 1996, probablement au Champo.
Et encore là, pour le passage au petit écran, c'est le DVD de Potemkine qui vient d'être remastérisé. L'ancienne édition donne une image plus petite.
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