Voici
le road movie le plus minimaliste du moment (je n'ai pas vérifié
s'il y en a d'autres mais probablement). Dans quelques rues de Berlin
et une seule journée, celle de l'anniversaire de Lara (Corinna
Harfouch). Lara ne voulait pas bouger de chez elle ce matin-là, elle
est en peignoir, elle fait sa petite routine, ouvre la fenêtre (je
pense qu'elle voulait sauter vue la tronche qu'elle tire) pour fumer.
Mais ça sonne à la porte, deux flics viennent pour la
réquisitionner. « Elle est là la vieille ? »
entend-on du talkie-walkie.
C'est
que Lara, c'est le moins qu'on puisse dire, n'est pas vraiment la
femme la plus appréciée, mais en tant que fonctionnaire à la
retraite (elle a 60 ans aujourd'hui), elle fera bien l'affaire pour
une perquisition. Lara Jenkins fait partie de ces personnages de film
peu sympathiques, un peu pénibles, souvent exaspérants. Elle
rejoint la cohorte qui comporte ceux de Gabriel et la montagne
de Fellipe Barbosa, Jeune fille de Justine Trier ou Synonymes
de Nadav Lapid. D'ailleurs elle porte un manteau qui ressemble à
celui de Yoav, ce jaune moutarde.
Quand
Lara esquisse un sourire, tente d'être aimable, ceux à qui elle
s'adresse prennent plus peur que d'habitude. Elle va voir ses
anciennes collègues et propose (exige pour dire vrai) de son
ancienne secrétaire qu'elles se tutoient, on sent le malaise. Le
film prend un malin plaisir à montrer ce malaise chaque fois qu'elle
entre dans une pièce avec un sens consommé du suspense parce qu'on
ne sait rien du passé de Lara. Ces trois premiers quarts d'heure
dressent un portrait satirique de cette femme stricte, peu amène et
solitaire.
Elle
se prend quelques reproches polis mais fermes de ceux qu'elle
rencontre, la fonctionnaire qui l'a remplacée, sa mère qui vit en
banlieue dans un lotissement, son ancien professeur de piano, son
ancien époux, la copine de son fils. Elle tente de se racheter en
retirant tout son argent de son compte en ban que (encore une preuve
qu'elle voulait en finir avec sa vie) et achète les derniers tickets
pour le récital que doit donner son fils Viktor (Tom Schilling), un
pianiste. Lara n'a pas été invitée. Mais ces tickets elle va en
offrir à tous ceux qu'elle croisera dans son périple.
En
métro, à pieds, en taxi, en bus. Lara change de quartier en
traînant sa déprime. Les courtes discussions ne tournent qu'autour
de Viktor et de ce concert. Sa mère et son ancien mari sont les plus
durs. On échange des mots blessants (« ton gâteau
d'anniversaire bon marché »), on se fait mal au sens propre
comme au sens figuré (un claque est donnée, un archet est brisé).
La tension est palpable. Au son, ce sont des accords stridents de
violon que l'on entend, des mélodies sinistres, elles sont les
pensées de Lara.
Le
violon cède la place au piano dans la deuxième moitié du film
quand Viktor entre enfin en scène. Tom Schilling joue un fils
insipide, ce que l'on appelle un personnage Koulechov, il le joue à
la perfection avec son air de gendre idéal. Cette figure banale et
sans aspérité, ce garçon imberbe et glabre semble ne pas exister,
il semble brisé par la vie, incapable d'avancer hors de l'ombre de
sa mère. Tandis que l'heure du concert de cette journée qui n'en
finit pas pour Lara avance, tout s'écroule comme un château de
cartes.
Ce
portrait de monstre que filme Jan-Ole Gerster est ordinaire, elle qui
pense toujours faire le bien autour de lui mais se trompe sans cesse.
Deux courtes scènes autour de leçon de piano, l'une avec l'ancien
professeur de Lara, l'autre avec l'élève de Viktor, parlent de
l'éducation allemande. Michael Haneke disait à peu près la même
chose dans La Pianiste (que j'aime beaucoup) mais sur un ton
tout autre, Jan-Ole Gerster ironise sur Haneke pour mieux s'en
démarquer. La journée de Lara se finit sur un happy end de circonstance dont
personne n'est dupe.
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