Déglingué,
tout est déglingué dans la propriété des Maxwell. La grande
demeure filmée dans un lent travelling s'avère mal entretenue,
grisâtre, remplie de vilaines herbes. Puis le maître de maison
apparaît, Warren Maxwell (James Mason), vieillard qui s'aide d'une
cane pour marcher, puis son fils Hammond (Perry King), beau garçon
mais qui boite, un accident pendant l'enfance lui a brisé la jambe.
Voilà la belle famille de dégénérés, propriétaires terriens,
esclavagistes, parlant à peine anglais, c'est un peu audible dans
les déformations des mots, pas évident dans la retranscription des
sous-titres mais on comprend que ces Maxwell n'ont aucune éducation.
On
est plongé en plein pays sauvage dans une reconstitution que Richard
Fleischer va s'employer à rendre la plus juste possible et cela
commence par le langage, les deux hommes malades et une vente
d'esclave où rien n'est épargné. Un client vient contrôler les
doigts, les dents, le cul (filmés en gros plans) et l'obéissance de
la marchandise que les Maxwell mettent en vente, soit une bonne
douzaine d'esclaves noirs en rang d'oignon, la tête baissée, dans
une posture de soumission et de crainte. Et puis il y a ces mots crus
qu'on n'entend plus « nigger » dans les films où de
toute façon on ne parle plus du tout de ce sujet, la traite des
Noirs.
Quentin
Tarantino quand il emprunte pour Django unchained des figures
tirées de Mandingo, des traits de caractères pour ses
personnages comme celui de Samuel L. Jackson, qui ressemble beaucoup
à l'esclave proche du patriarche Maxwell, Mem alias Agamemnon
(Richard Ward), en fait des êtres retors, vicieux, il extériorise
la haine par un jeu outrancier. Mais il élabore aussi des
personnages miroir, Samuel L. Jackson est le reflet inversé de
Django que joue Jamie Foxx. Dans Mandingo, Richard Fleischer
n'oppose pas Mem avec les autres de la plantation, Cicero, l'esclave
qui a appris à lire et qui va être pendu pour sa rébellion.
Les
Noirs on des prénoms gréco-romains, comme si les Maxwell avait la
moindre idée de qui étaient ces gens. Agamemnon, Cicero et Lucrèce
Borgia (Lillian Hayman), la grosse bonne femme depuis toujours dans
la famille Maxwell dont le père est fier : il dit qu'elle a
pondu 24 « suckers » pour utiliser le mot anglais. Jamais
il ne parlera des enfants de Lucrèce Borgia avec tendresse, avec un
mot humain. Pour Warren, ce ne sont que des marchandises. D'ailleurs
les gamins travaillent dès leur enfance, il tiennent les
candélabres, les éventails ou servent à aspirer le rhumatisme de
Warren, l'un des enfants servira de tapis.
Mettre
au monde un enfant est l'obsession de cette famille, c'est le sujet
profond du film jusqu'à ce finale d'une noirceur incroyable,
rarement vue dans le cinéma de Richard Fleischer même dans ses
films de cette décennie où pourtant les films sont proches
(L'Etrangleur de Rilington Place ou Les Flics ne dorment
pas la nuit). Seulement voilà, comment faire des enfants quand
on est totalement dégénérés, telle est la question. Ces maîtres
blancs malades, tarés, crétins, bigots, têtus, ignares face à
leurs esclaves noirs qui comprennent que cet état des choses ne
correspond pas à la réalité. C'est leur regard plein de dégoût
et de désespoir que filme le cinéaste.
La
famille n'est pas le point fort de Hammond, loin de là, mais son
père veut un héritier, mâle bien évidemment. Il va en ville pour
rencontrer sa cousine Blanche (Susan George) qui se la joue mijaurée
et mondaine mais qui va s'avérer encore plus dégénérée que le
reste de la famille. Elle a perdu sa virginité à 13 ans avec son
frère Charles (Ben Masters). Sa passion, outre violer sa petite
sœur, se déploie dans le sadisme pur, il adore par dessus tout
fouetter et battre les esclaves, ceux qui sont punis ou celles qu'il
viole dans des gestes brutaux qui choquent Hammond, pourtant il en a
vu et il en a pratiqué des saloperies dans sa plantation avec ses
esclaves.
Blanche
passe du luxe chez ses parents à la demeure déglinguée de son
cousin, cet estropier qu'elle croit manipuler. Elle va vite
comprendre que, à cause des conseils stupides de Warren désormais
son beau-père, elle va être traitée comme un simple
pondeuse,tandis que Ellen (Brenda Sykes), une jeune Noire que Hammond
a achetée, aura ses faveurs. Hammond fait de Ellen son épouse de
fait. La jalousie de Blanche se transforme en tragédie, dans une
noirceur de plus en plus insoutenable. Mandingo est de loin
l'un des meilleurs films de Richard Fleischer, c'est loin d'être un
film facile, c'est éprouvant et mémorable.
1 commentaire:
Oui, chef d'oeuvre, le terme n'est pas galvaudé pour parler de
Mandingo. J'adore la façon dont Fleischer représente la
dégénérescence d'un système économique et social fondée sur
la bétise et la violence brute. Le travail sur la lumière et les
décors, notamment dans la demeure, tout en papier peint
décrépi, rideaux transformant la lumière en clarté saumâtre, est
remarquable. Tout comme la musique de Maurice Jarre.
Éprouvant, c'est vrai, mais unique dans le cinéma américain.
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