mardi 17 septembre 2019

Mandingo (Richard Fleischer, 1975)

Déglingué, tout est déglingué dans la propriété des Maxwell. La grande demeure filmée dans un lent travelling s'avère mal entretenue, grisâtre, remplie de vilaines herbes. Puis le maître de maison apparaît, Warren Maxwell (James Mason), vieillard qui s'aide d'une cane pour marcher, puis son fils Hammond (Perry King), beau garçon mais qui boite, un accident pendant l'enfance lui a brisé la jambe. Voilà la belle famille de dégénérés, propriétaires terriens, esclavagistes, parlant à peine anglais, c'est un peu audible dans les déformations des mots, pas évident dans la retranscription des sous-titres mais on comprend que ces Maxwell n'ont aucune éducation.

On est plongé en plein pays sauvage dans une reconstitution que Richard Fleischer va s'employer à rendre la plus juste possible et cela commence par le langage, les deux hommes malades et une vente d'esclave où rien n'est épargné. Un client vient contrôler les doigts, les dents, le cul (filmés en gros plans) et l'obéissance de la marchandise que les Maxwell mettent en vente, soit une bonne douzaine d'esclaves noirs en rang d'oignon, la tête baissée, dans une posture de soumission et de crainte. Et puis il y a ces mots crus qu'on n'entend plus « nigger » dans les films où de toute façon on ne parle plus du tout de ce sujet, la traite des Noirs.

Quentin Tarantino quand il emprunte pour Django unchained des figures tirées de Mandingo, des traits de caractères pour ses personnages comme celui de Samuel L. Jackson, qui ressemble beaucoup à l'esclave proche du patriarche Maxwell, Mem alias Agamemnon (Richard Ward), en fait des êtres retors, vicieux, il extériorise la haine par un jeu outrancier. Mais il élabore aussi des personnages miroir, Samuel L. Jackson est le reflet inversé de Django que joue Jamie Foxx. Dans Mandingo, Richard Fleischer n'oppose pas Mem avec les autres de la plantation, Cicero, l'esclave qui a appris à lire et qui va être pendu pour sa rébellion.

Les Noirs on des prénoms gréco-romains, comme si les Maxwell avait la moindre idée de qui étaient ces gens. Agamemnon, Cicero et Lucrèce Borgia (Lillian Hayman), la grosse bonne femme depuis toujours dans la famille Maxwell dont le père est fier : il dit qu'elle a pondu 24 « suckers » pour utiliser le mot anglais. Jamais il ne parlera des enfants de Lucrèce Borgia avec tendresse, avec un mot humain. Pour Warren, ce ne sont que des marchandises. D'ailleurs les gamins travaillent dès leur enfance, il tiennent les candélabres, les éventails ou servent à aspirer le rhumatisme de Warren, l'un des enfants servira de tapis.

Mettre au monde un enfant est l'obsession de cette famille, c'est le sujet profond du film jusqu'à ce finale d'une noirceur incroyable, rarement vue dans le cinéma de Richard Fleischer même dans ses films de cette décennie où pourtant les films sont proches (L'Etrangleur de Rilington Place ou Les Flics ne dorment pas la nuit). Seulement voilà, comment faire des enfants quand on est totalement dégénérés, telle est la question. Ces maîtres blancs malades, tarés, crétins, bigots, têtus, ignares face à leurs esclaves noirs qui comprennent que cet état des choses ne correspond pas à la réalité. C'est leur regard plein de dégoût et de désespoir que filme le cinéaste.

La famille n'est pas le point fort de Hammond, loin de là, mais son père veut un héritier, mâle bien évidemment. Il va en ville pour rencontrer sa cousine Blanche (Susan George) qui se la joue mijaurée et mondaine mais qui va s'avérer encore plus dégénérée que le reste de la famille. Elle a perdu sa virginité à 13 ans avec son frère Charles (Ben Masters). Sa passion, outre violer sa petite sœur, se déploie dans le sadisme pur, il adore par dessus tout fouetter et battre les esclaves, ceux qui sont punis ou celles qu'il viole dans des gestes brutaux qui choquent Hammond, pourtant il en a vu et il en a pratiqué des saloperies dans sa plantation avec ses esclaves.


Blanche passe du luxe chez ses parents à la demeure déglinguée de son cousin, cet estropier qu'elle croit manipuler. Elle va vite comprendre que, à cause des conseils stupides de Warren désormais son beau-père, elle va être traitée comme un simple pondeuse,tandis que Ellen (Brenda Sykes), une jeune Noire que Hammond a achetée, aura ses faveurs. Hammond fait de Ellen son épouse de fait. La jalousie de Blanche se transforme en tragédie, dans une noirceur de plus en plus insoutenable. Mandingo est de loin l'un des meilleurs films de Richard Fleischer, c'est loin d'être un film facile, c'est éprouvant et mémorable.























1 commentaire:

Jacques Boudineau a dit…

Oui, chef d'oeuvre, le terme n'est pas galvaudé pour parler de
Mandingo. J'adore la façon dont Fleischer représente la
dégénérescence d'un système économique et social fondée sur
la bétise et la violence brute. Le travail sur la lumière et les
décors, notamment dans la demeure, tout en papier peint
décrépi, rideaux transformant la lumière en clarté saumâtre, est
remarquable. Tout comme la musique de Maurice Jarre.
Éprouvant, c'est vrai, mais unique dans le cinéma américain.