lundi 16 septembre 2019

L'Albatros (Jean-Pierre Mocky, 1970)

« Vous pensez franchir les barrages en volant par dessus, comme un albatros ? » Cette phrase est prononcée deux fois par Paula Cavalier (Marion Game) en début et en fin de film comme dans une boucle. Autre boucle dans L'Albatros, la prison d'où s'échappe Stef Tassel (Jean-Pierre Mocky) pour être libre et où il retourne en fin de film mais cette fois avec Paula où tout se termine en beauté, si je puis dire, avec une scène filmée en ombre chinoises où le ravisseur et son otage font l'amour devant les badauds et les matons.

Tout l'enjeu est dans le parcours de cette boucle, comment en une journée ces deux personnes qui ne se connaissent pas, se haïssent d'abord, sont de conditions et milieux opposés, finissent par coucher ensemble comme dernier salut cathartique avant de sombrer, dans un double plan magnifique chacun d'un côté du mur de la prison. En 90 minutes, Jean-Pierre Mocky poursuit son diptyque de film noir commencé l'année précédente avec Solo. Cette fois, il n'est plus seul il est en duo et le double, comme la boucle, est la motif majeur de L'Albatros.

Le film est sombre comme la nuit et désespéré comme le visage de Tassel, toujours aux aguets dans une incessante course-poursuite. Il s'évade de prison, traverse un bois boueux et humide, les bergers allemands tenus par les flics aboient. L'atmosphère est poisseuse à souhait. On ne saura jamais ce qu'il a fait mais si on en juge par le nombre de flics à sa poursuite, c'est grave. Mais on comprend vite qu'il a bon cœur. Certes, il assomme un flic, mais il ne le tue pas, au contraire il prend bien soin de lui retirer la boue du visage pour qu'il puisse bien respirer.

Mais la radio, les journaux et la télé a vite fait de présenter notre évade comme un dangereux criminel. Paula Cavalier le rencontre dans un meeting politique qui oppose son père, le président Ernest Cavalier (Paul Muller) au conseiller Lucien Grimm (André Le Gall), deux candidats à on ne sait trop quelle élection où chacun a des affiches qui promettent la prospérité et la propreté. Paula se révolte d'abord, c'est qu'elle a du tempérament, elle pense ensuite qu'elle est victime d'une rançon à cause de son père.

Une rançon, c'est aussi ce que pensent le politicien comme le commissaire Gaber (R.J. Chauffard), un typer vraiment flippant qui espère une belle promotion et qui joue Grimm contre Cavalier, distillant au père de la kidnappée peu d'informations pour servir son nouveau maître. Il faut signaler la direction d'acteurs exceptionnelle du film et notamment de ces trois salauds de politicards corrompus, filmés souvent en contre-plongée. Ils jouent avec un détachement qui rend encore plus crapuleux les petites magouilles et les embûches que chacun tend à l'autre.

C'est là que Mocky se fait malin pour défendre le personnage qu'il joue. On est grâce à un montage alterné intensif et constant entre lui et Paula contre les flics et les politiciens de voir où se trouve l'honnêteté malgré cet enlèvement. Cette astuce est d'une redoutable efficacité mais aussi d'une grande perversité puisque Mocky en dénonçant les manipulations de Grimm et Cavalier manipule de son côté son spectateur tout en lui rappelant qu'il ne faut pas prendre pour argent comptant chaque rumeur et chaque fait divers.


Du Solo au duo (le film aurait pu s'appeler comme), Jean-Pierre Mocky parle d'un monde pourri et gangrené jusqu'au trognon. Personne n'est sympathique dans ce film, des militants colleurs d'affiches qui se castagnent, des violeurs du petit bois, des deux vieux à côté de la supérette en passant par les deux candidats, le pharmacien et le gendarme. Seule Paula avec sa robe blanche comme symbole d'innocence et de virginité d'esprit va comprendre et aider ce repris de justice qui ne croit plus en rien sauf en l'amour et la mort comme le dit la dernière scène.
























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