« Vous
pensez franchir les barrages en volant par dessus, comme un
albatros ? » Cette phrase est prononcée deux fois par
Paula Cavalier (Marion Game) en début et en fin de film comme dans
une boucle. Autre boucle dans L'Albatros, la prison d'où
s'échappe Stef Tassel (Jean-Pierre Mocky) pour être libre et où il
retourne en fin de film mais cette fois avec Paula où tout se
termine en beauté, si je puis dire, avec une scène filmée en ombre
chinoises où le ravisseur et son otage font l'amour devant les
badauds et les matons.
Tout
l'enjeu est dans le parcours de cette boucle, comment en une journée
ces deux personnes qui ne se connaissent pas, se haïssent d'abord,
sont de conditions et milieux opposés, finissent par coucher
ensemble comme dernier salut cathartique avant de sombrer, dans un
double plan magnifique chacun d'un côté du mur de la prison. En 90
minutes, Jean-Pierre Mocky poursuit son diptyque de film noir
commencé l'année précédente avec Solo. Cette fois, il
n'est plus seul il est en duo et le double, comme la boucle, est la
motif majeur de L'Albatros.
Le
film est sombre comme la nuit et désespéré comme le visage de
Tassel, toujours aux aguets dans une incessante course-poursuite. Il
s'évade de prison, traverse un bois boueux et humide, les bergers
allemands tenus par les flics aboient. L'atmosphère est poisseuse à
souhait. On ne saura jamais ce qu'il a fait mais si on en juge par le
nombre de flics à sa poursuite, c'est grave. Mais on comprend vite
qu'il a bon cœur. Certes, il assomme un flic, mais il ne le tue pas,
au contraire il prend bien soin de lui retirer la boue du visage pour
qu'il puisse bien respirer.
Mais
la radio, les journaux et la télé a vite fait de présenter notre
évade comme un dangereux criminel. Paula Cavalier le rencontre dans
un meeting politique qui oppose son père, le président Ernest
Cavalier (Paul Muller) au conseiller Lucien Grimm (André Le Gall),
deux candidats à on ne sait trop quelle élection où chacun a des
affiches qui promettent la prospérité et la propreté. Paula se
révolte d'abord, c'est qu'elle a du tempérament, elle pense ensuite
qu'elle est victime d'une rançon à cause de son père.
Une
rançon, c'est aussi ce que pensent le politicien comme le
commissaire Gaber (R.J. Chauffard), un typer vraiment flippant qui
espère une belle promotion et qui joue Grimm contre Cavalier,
distillant au père de la kidnappée peu d'informations pour servir
son nouveau maître. Il faut signaler la direction d'acteurs
exceptionnelle du film et notamment de ces trois salauds de
politicards corrompus, filmés souvent en contre-plongée. Ils jouent
avec un détachement qui rend encore plus crapuleux les petites
magouilles et les embûches que chacun tend à l'autre.
C'est
là que Mocky se fait malin pour défendre le personnage qu'il joue.
On est grâce à un montage alterné intensif et constant entre lui
et Paula contre les flics et les politiciens de voir où se trouve
l'honnêteté malgré cet enlèvement. Cette astuce est d'une
redoutable efficacité mais aussi d'une grande perversité puisque
Mocky en dénonçant les manipulations de Grimm et Cavalier manipule
de son côté son spectateur tout en lui rappelant qu'il ne faut pas
prendre pour argent comptant chaque rumeur et chaque fait divers.
Du
Solo au duo (le film aurait pu s'appeler comme), Jean-Pierre
Mocky parle d'un monde pourri et gangrené jusqu'au trognon. Personne
n'est sympathique dans ce film, des militants colleurs d'affiches qui
se castagnent, des violeurs du petit bois, des deux vieux à côté
de la supérette en passant par les deux candidats, le pharmacien et
le gendarme. Seule Paula avec sa robe blanche comme symbole
d'innocence et de virginité d'esprit va comprendre et aider ce
repris de justice qui ne croit plus en rien sauf en l'amour et la
mort comme le dit la dernière scène.
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