Des
manifestations contre la guerre au Viet Nam, contre le président
américain Lyndon Baines Johnson accusé d'assassin par les
manifestants, en hommage à la mort de Martin Luther King Jr
permettent de situer le tournage de L'Esprit du temps en avril
1968. Aux Pays-Bas, la jeunesse (c'est elle qui est essentiellement
vue dans le film de Johan Van Der Keuken) occupe la rue et défile
devant l'ambassade américaine avec un drapeau vietnamien. Si les
slogans sont rudes (CIA et Johnson assassins) ils manifestent en
ordre (étonnante scène où ils attendent le feu vert pour traverser
la rue).
Pour
remuer cet ordre établi, ces gentils défilés, Johan Van Der Keuken
organise le sien, totalement différent. Le cinéaste néerlandais
abandonne le confort du documentaire pour une autre contrée
cinématographique risquée et indéfinissable. L'Esprit du temps
défie les classements mais une chose est certaine, il s'amuse avec
sa table de montage. Cette contre-manifestation en début de film est
montée à l'envers, les gens reculent. En tête de cortège, deux
hippies (je vais les qualifier ainsi pour plus de facilité) le
visage maquillé, le sourire enjôleur des gars ravis de leur petite
blague (celle de sortir maquillés dans la rue).
Ce
visage de jeune homme est celui qui est le plus filmé dans L'Esprit
du temps. Maquillé comme un chanteur glam (mettons David Bowie),
avec des paillettes sur les paupières, des dessins sur les joues et
le front, on le découvre en train de se maquiller, mais à rebours,
la main qui se pose sur son visage angélique dérobe les dessins
pour laisser apparaître son vrai visage. Plus tard dans le film, en
plan fixe, regard caméra, il adoptera différents maquillages, dont
un Jésus que suit un Hitler. Entre ces deux séquences, on le
découvre dans un bureau, à côté d'hommes en cravate, en train de
travailler.
La
meilleure définition de ce film de Johan Van Der Keuken (d'une durée
de 43 minutes) est le sample. C'est la répétition de mots
(fonctionnaire) et d'images en boucle (celui qui prononce
fonctionnaire), addition d'insert de la nature (nuage, flaque, herbes
folles), théâtre vivant où un unique acteur répète la même
phrase, la redondance d'un sketch de la télé et des policiers
entourant les manifs. Tout cela a un objectif : perturber les
sens. Les plans sont en eux-mêmes tous lisibles mais c'est leur
montage qui empêche leur lecture, comme le jeu de cadavre exquis
appliqué au cinéma.
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