Grands
soirs & petits matins, c'est Paris pris sur le vif en à peu
près 250 scènes, Mai 68 comme si on y était, à écouter les
discussions sur le trottoir, au milieu de la rue entre les passants,
à filmer les premières manifestations dans le Quartier Latin. Dans
le défilé des étudiants en médecine, on reconnaît en tête de
cortège Bernard Kouchner, au défilé des Etats généraux du
cinéma, c'est Resnais, Rivette, Malle et Doniol-Valcroze. Plus loin,
dans le comité Gavroche, on découvre Renaud, 16 ans à l'époque.
Chris Marker, de loin appareil photo en bandoulière cherche visite
lui aussi le petit matin et ses voitures renversées.
Ce
qui frappe dans la mise en scène de William Klein c'est l'extrême
bienveillance avec laquelle il capte les paroles, cette manière de
s'immiscer dans les groupes de discussions. Peu importe ce qu'il
filme, il est à l'écoute des bavardages (il y en a beaucoup), des
disputes (souvent pour pas grand chose), William Klein filme un peu
tout et pas grand chose mais avec la conscience que quelque chose
peut se passer. Ce que l'on entend est surtout la peur que rien ne
sorte de ces manifestations, que la révolution souhaitée n'ait pas
lieu. Tous ceux qui causent devant la caméra et le micro soutiennent
le mouvement.
Pour
bien comprendre cette bienveillance, il suffit de voir comment il
enregistre la parole du pouvoir, celle de De Gaulle et Pompidou. Elle
passe par une captation de leur passage télévisuel, leur visage est
déformé par l'écran cathodique, ce sont des visages grotesques, il
les ridiculise. A la Sorbonne, le discours de De Gaulle est écouté
sur un transistor par les étudiants. Ils réagissent par des huées,
en entonnant L'Internationale. Le film s'achève par l'allocution
télé du général, il prononce un discours pesant, démagogique,
verbeux. De Gaulle n'a rien compris à ce qui se passe mais annonce
la mort dans l’œuf de la révolution.
William
Klein filme les coulisses de ce qui se passe à la Sorbonne. Pour
occuper l'université, il faut s'organiser avec une discipline qui ne
doit rien à l'anarchie, bien au contraire. Une salle est dédiée à
la confection de sandwiches, une autre devient une garderie, ailleurs
un groupe coordonne les actions des lycées. Il filme d'ailleurs
longuement une lycéenne qui a au bout du fil une maman inquiète de
n'avoir pas vu son fils depuis plusieurs jours. La séquence varie de
l'hilarité générale des garçons autour de la lycéenne au sérieux
devant la situation.
La
star du film est Daniel Cohn-Bendit. Son arrivée à la Sorbonne est
filmée comme un western, avec une ivresse de bonheur non dissimulée.
Ses discours joyeux et facétieux sont encadrés, non sans malice,
par la langue de bois des leaders syndicaux à la manifestation
autorisée au stade Charléty ou la logorrhée absconse des
« camarades » de la JCR (Jeunesse Communiste
Révolutionnaire, soit les maoïstes) notamment Alain Geismar. En Mai
68, Daniel Cohn-Bendit était le premier Insoumis, 50 ans après
personne ne semble parvenu à l'égaler.
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