L'enfant
s'appelle François, il a dix ans, il vit à Lens. Il ressemble comme
deux gouttes d'eau à Antoine Doinel d'autant que le prénom choisi
pour le personnage de Michel Terrazon (qui jouera un petit rôle dans
La Maison des bois la série ORTF de Maurice Pialat) est celui
de Truffaut qui produit ce premier film (avec Claude Berri entre
autres). François est un gamin de l'assistance publique, comme un
disait à l'époque, sa mère ne peut pas l'élever, il vit en
famille d'accueil.
Mais
cela, le spectateur n'est pas encore censé le savoir quand commence
L'Enfance nue. Maurice Pialat filme d'abord une manifestation
syndicale (on doit être le Premier Mai) puis bifurque dans une
boutique de vêtements. « Qu'est-ce qu'on dit ? »
« Merci » « Merci qui ? » « Merci
maman ». La maman en question est celle de la famille d'accueil
de François. Elle vient de lui acheter une veste bleue, un cadeau
utile pour lequel l'enfant doit la remercier.
Josette,
la fille naturelle de la maman, balance à son frère d'adoption
« qu'est-ce que t'es moche ». Il lui rétorque « tu
t'es pas vu ». Comme dans Les 400 coups, le ton est vif,
direct. Il le demeurera tout au long du récit qui s'étale sur
quelques mois jusqu'à Noël. François, contrairement à Josette une
gamine gâtée, n'a pas sa propre chambre, il vit sur le palier,
comme le remarque avec déception le directeur de l'assistance
publique venu faire le point avec les parents.
Il
a une bonne tête d'ange le François mais la maman veut s'en
débarrasser. Dans la cuisine (Maurice Pialat a aussi l'art de
trouver des décors dans leur jus), elle déballe tout ce qui ne va
pas, laissant peu la parole à son Roby, son mari interprété par
Raoul Billerey, un bon gars mais épuisé par le travail. François,
histoire de la faire culpabiliser, ira acheter un foulard chic dans
une boutique pour l'offrir à cette mère éphémère, œil pour œil,
cadeau pour cadeau.
Avant
de se retrouver chez Pépère et Mémère (Monsieur et Madame
Thierry, un couple d'acteurs non professionnels, parfaits) nouveaux
parents nourriciers, Maurice Pialat filme le convoi des enfants en
train puis en voiture. C'est un bloc documentaire puissant et cruel
en même temps où est décrit le destin de ces enfants abandonnés
ou orphelins en recherche de famille dans un montage qui laisse
apparaître plusieurs plans séquences entremêlés.
C'est
ainsi que fonctionne la mise en scène dans L'Enfance nue, le
documentaire brut alterne avec la fiction de François dans cette
famille entre les deux vieux, le grand « frère » Raoul
(à l'accent à couper au couteau) et « mémère la vieille »,
la grand-mère maternelle que François affectionne particulièrement.
Pour les scènes documentaires, on découvre comment on ventile les
enfants, comment une maman ne « veut pas d'un petit Noir,
comment le directeur fait ses rapports.
Dans
la nouvelle famille, François continue d'être bien gentil, poli,
d'avoir une bonne tête d'ange et pépère et mémère lui rendent
bien cette gentillesse. C'est très beau de voir ce couple rejouer
certaines scènes de leur vie, raconter leur passé à François,
elle sur les genoux de lui « tu vois on s'aime bien », la
douceur derrière leurs grosses lunettes est là, la petite blouse,
le gentil sourire. On les suit en famille, à un mariage, pendant les
repas.
Dans
une scène, Maurice Pialat saisit toutes les contradictions de cet
enfant solitaire. Dans une salle de cinéma, il traîne avec quelques
jeunes plus grands que lui, il est fasciné par le bagout de l'un
d'eux qui se taillade la peau pour faire un tatouage. Il rêve de
devenir comme ces grands. Mais dès la salle éteinte et le western
lancé, plus rien d'autre ne l'intéresse que ce qui se passe sur
l'écran.
Plus
on l'aime, plus François fait des conneries. Il vole tout et
n'importe quoi, il pisse au lit, il ne travaille pas à l'école, il
se dispute avec Raoul, jusqu'à l'incident fatal, il jette de la
ferraille trouvée au bord d'une voie ferrée sur une voiture. Je
suis encore sidéré de voir la violence de ce premier long-métrage
et pourtant malgré tout ce qui arrive à François, Maurice Pialat
retient cette émotion primaire que ce genre de sujet appelait, c'est
sa plus grande force.
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