mercredi 23 mai 2018

Le Gai savoir (Jean-Luc Godard, 1968)

Dans mon incessante quête de voir les films de Godard en salle, j'avais découvert Le Gai savoir en mars 2003 au Crac Scène Nationale de Valence, dernière salve de sa directrice Françoise Calvez avant sa retraite. Le film n'était jamais sorti au cinéma, censuré selon le Godard par Godard (édité par les Cahiers du cinéma). Voir un film tous les 15 ans, c'est une bonne cadence, je l'ai regardé en DVD Gaumont (coffret Godard Politique édité en 2011).

Le noir absolu accueille (plutôt bien rendu en vidéo) deux figures qui jouent comme au théâtre. Aucun décor, aucun accessoire si ce n'est un parapluie. Ils s'assoient à même le sol quand ils ne restent pas debout. Elle, Juliet Berto est Patricia Lumumba, lui, Jean-Pierre Léaud est Emile Rousseau. Une figure de la révolution du Tiers-Monde (comme on disait en 1968) et un visage de la philosophie des lumières (mais dans ce noir des ténèbres).

Je ne prendrai pas le risque de résumer ce que ce disent Patricia et Emile, c'est évidemment à haute teneur politique, Jean-Luc Godard amorçait sans frein son virage gauchiste. Ici, il tournait quelques semaines avant mai 68, avant que les événements ne viennent tout chambouler. Il s'est autorisé à revenir légèrement sur son texte pour faire dire à Juliet Berto un couplet (en off, on décèle clairement le rajout) sur Mai 68.

Ces dialogues et monologues, face à face, côte à côté, en champ-contrechamp, jouent sur les oppositions (la plus simple est « je suis la théorie » dit Emile « je suis la pratique » dit Patricia), sur les chocs du langage et de la diction, les contradictions. C'est non seulement très beau à écouter mais aussi à regarder, les deux interprètes s'insèrent dans une chorégraphie que la caméra en plans d'ensemble que suivent des plans rapprochés vient dessiner.

Il y a une réelle grâce à voir Juliet Berto et Jean-Pierre Léaud dans leur ultime film de Jean-Luc Godard (ou presque), lui retournera chez François Truffaut (« on s'est fait baisé, on s'est volé » dira Godard jaloux), elle partira s’encanailler chez Jacques Rivette (Out 1 puis le génial Céline et Julie vont en bateau), c'est un film d'une grande complicité où l'humour pince-sans-rire et burlesque débarque sans crier gare.

Le Gai savoir fait partie des films « tableaux noirs » de Jean-Luc Godard qui va de La Chinoise (1967) à Letter to Jane (1972). Le tableau noir, présent physiquement dans La Chinoise, est l'occasion de donner des leçons de révolution, des leçons qui pèsent des tonnes, dans One + one, entre les répétitions des Rolling Stones, ce sont des saynètes aujourd'hui irregardables et ce système aboutit à Luttes en Italie.

Mais il y a bien mieux dans Le Gai savoir. Entre ces dialogues noirs, Jean-Luc Godard insère des scènes de la vie parisienne (pur style documentaire filmé en école buissonnière) et des collages d'images (magazines, photos, pubs) où l'écriture du cinéaste vient se poser. Ces collages tiennent autant du slogan que de la poésie, c'est surtout très beau, ce sont les collages les plus inspirés de tous ses films politiques.


Parmi les collages (texte + image + son) que je trouve les plus aboutis (Alain Bergala appelle ces collages des « clignotements ») car certains en fin de film sont bien moins créatifs, voici celui-ci : « Hegel est le premier penseur qui ait tenu la gifle comme argument philosophique irréfutable » en six images que j'ai longtemps connues uniquement en noir et blanc avant de découvrir ce beau film.




































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