Dans
mon incessante quête de voir les films de Godard en salle, j'avais
découvert Le Gai savoir
en mars 2003 au Crac Scène Nationale de Valence, dernière salve de
sa directrice Françoise Calvez avant sa retraite. Le film n'était
jamais sorti au cinéma, censuré selon le Godard par Godard (édité
par les Cahiers du cinéma). Voir un film tous les 15 ans, c'est une
bonne cadence, je l'ai regardé en DVD Gaumont (coffret Godard
Politique édité en 2011).
Le
noir absolu accueille (plutôt bien rendu en vidéo) deux figures qui
jouent comme au théâtre. Aucun décor, aucun accessoire si ce n'est
un parapluie. Ils s'assoient à même le sol quand ils ne restent pas
debout. Elle, Juliet Berto est Patricia Lumumba, lui, Jean-Pierre
Léaud est Emile Rousseau. Une figure de la révolution du
Tiers-Monde (comme on disait en 1968) et un visage de la philosophie
des lumières (mais dans ce noir des ténèbres).
Je
ne prendrai pas le risque de résumer ce que ce disent Patricia et
Emile, c'est évidemment à haute teneur politique, Jean-Luc Godard
amorçait sans frein son virage gauchiste. Ici, il tournait quelques
semaines avant mai 68, avant que les événements ne viennent tout
chambouler. Il s'est autorisé à revenir légèrement sur son texte
pour faire dire à Juliet Berto un couplet (en off, on décèle
clairement le rajout) sur Mai 68.
Ces
dialogues et monologues, face à face, côte à côté, en
champ-contrechamp, jouent sur les oppositions (la plus simple est
« je suis la théorie » dit Emile « je suis la
pratique » dit Patricia), sur les chocs du langage et de la
diction, les contradictions. C'est non seulement très beau à
écouter mais aussi à regarder, les deux interprètes s'insèrent
dans une chorégraphie que la caméra en plans d'ensemble que suivent
des plans rapprochés vient dessiner.
Il
y a une réelle grâce à voir Juliet Berto et Jean-Pierre Léaud
dans leur ultime film de Jean-Luc Godard (ou presque), lui retournera
chez François Truffaut (« on s'est fait baisé, on s'est
volé » dira Godard jaloux), elle partira s’encanailler chez
Jacques Rivette (Out 1
puis le génial Céline et
Julie vont en bateau), c'est
un film d'une grande complicité où l'humour pince-sans-rire et
burlesque débarque sans crier gare.
Le
Gai savoir fait partie des
films « tableaux noirs » de Jean-Luc Godard qui va de La
Chinoise (1967) à Letter
to Jane (1972). Le tableau
noir, présent physiquement dans La
Chinoise, est l'occasion de
donner des leçons de révolution, des leçons qui pèsent des
tonnes, dans One + one,
entre les répétitions des Rolling Stones, ce sont des saynètes
aujourd'hui irregardables et ce système aboutit à Luttes
en Italie.
Mais
il y a bien mieux dans Le Gai
savoir. Entre ces dialogues
noirs, Jean-Luc Godard insère des scènes de la vie parisienne (pur
style documentaire filmé en école buissonnière) et des collages
d'images (magazines, photos, pubs) où l'écriture du cinéaste vient
se poser. Ces collages tiennent autant du slogan que de la poésie,
c'est surtout très beau, ce sont les collages les plus inspirés de
tous ses films politiques.
Parmi
les collages (texte + image + son) que je trouve les plus aboutis
(Alain Bergala appelle ces collages des « clignotements »)
car certains en fin de film sont bien moins créatifs, voici
celui-ci : « Hegel est le premier penseur qui ait tenu la
gifle comme argument philosophique irréfutable » en six images
que j'ai longtemps connues uniquement en noir et blanc avant de
découvrir ce beau film.
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