Le
bébé commence par pleurer, puis prend un air étonné et finit par
rire aux éclats. « Qui est ce bébé ? Mais le spectateur
primaire du film, celui pour qui toute mise en scène est une source
de plaisir ». Ce bébé spectateur évoqué par le critique
Iannis Katsahnias (l'un des meilleurs défenseurs du cinéma
américain dans les années 1980, on lui certains des plus belles
critiques dans les Cahiers du cinéma) est celui de la célèbre
scène du landau dans les escaliers de la gare de Chicago, citation
post-moderne de l'épisode de l'escalier d'Odessa dans Le Cuirassé Potemkine.
La
scène est fabuleusement gratuite, arrive en fin de film pour
résoudre l'affaire Al Capone (il s'agit de « capturer »
le comptable du malfrat), elle est un temps de suspension où le
temps est dilaté, avec quelques ralentis sur la musique en crescendo
d'Ennio Morricone, pratiquement la même que celle dans Mission to Mars (la séquence en suspension avec les gouttes de
sang). Cela n'atteint pas les sommets de Mission impossible (Tom Cruise accroché à son câble dans une
chambre blanche) mais c'est déjà immense pour un film de commande.
Dans
cette séquence de l'escalier de la gare de Chicago, Eliot Ness
(Kevin Costner) est un simple observateur. Je me suis toujours
demandé pourquoi l'acteur avait été choisi. Je l'ai toujours
trouvé banal, il est le gendre idéal et dans Les Incorruptibles,
un bon père de famille, bien propre sur lui, à la santé saine, son
épouse (Patricia Clarkson) lui donne à manger des carottes crues.
Son arrivée à Chicago est désastreuse, il vient des Washington,
c'est un gratte-papier et sa première mission se solde pas un échec
cuisant (le titre du journal moqueur qu'il affiche sur le mur de son
bureau).
Si
son personnage est si fade (un effet Koulechov permanent) c'est que
Brian De Palma préfère mettre l'accent sur se trois compagnons
d'arme hauts en couleur. Le premier est Malone (Sean Connery) est un
vieux flic un peu soupe au lait, qui dit ce qu'il pense sans prendre
de précautions, il a été cantonné toute sa vie à un poste
subalterne. Le deuxième est Wallace (Charles Martin Smith) un
fonctionnaire binoclard, un comptable candide. Le troisième est
Stone (Andy Garcia) est un Italien renégat qui a abandonné son nom,
il est fin tireur (ça servira dans la scène de l'escalier).
Eliot
Ness devient le nouveau shérif et Brian De Palma le filme avec ses
trois adjoints non pas comme dans un polar mais comme son unique
incartade dans le western, tendance Budd Boetticher avec ce salaud
qui tient une ville sous sa coupe.. Il est ainsi logique qu'il se
paie le luxe, non sans perversité, de quitter Chicago pour mettre
ses quatre personnages sur un cheval dans la séquence de western
proprement dite, située à la frontière canadienne. C'est le moment
le plus euphorique qu'ont Eliot Ness et ses hommes. Malone et Wallace
ne savent pas encore qu'ils vont mourir tragiquement.
A
eux quatre ils comptent mettre fin au règne d'Al Capone sur la film.
C'est ce combat que Brian De Palma fait semblant de décrire dans Les
Incorruptibles. La scénario de David Mamet cherche à se défaire
du manichéisme du film de gangsters (et de la série télé avec
Robert Stack) en montrant la transformation de ce quatuor. De flics
qui suivent la loi aveuglément, qui obéissent au règlement et à
la hiérarchie, ils vont transgresser tous les codes de bonne
conduite et se mettre au niveau de la pègre. Ils utilisent leurs
méthodes pour les éliminer.
Inversement,
tout spectateur sait qu'Al Capone est un affreux jojo mais il jouit
d'une impunité (il a corrompu tout le monde) et terrorise avec son
tueur à gages (Billy Drago) tout de blanc vêtu. Ses apparitions
dans Les Incorruptibles ne sont pas nombreuses mais il occupe
dans le film une place centrale. Le premier plan, en plongée, lui
est offert. Al Capone (Robert De Niro) est chez le barbier où se il
fait érafler la joue droite par le rasoir. Ce qui se lit sur le
visage du barbier est de la terreur malgré la voix douce du malfrat
et son léger sourire condescendant.
En
regardant aujourd'hui Les Incorruptibles (un film que j'aime
toujours autant) je ne peux pas m'empêcher de voir dans Al Capone le
visage de Donald Trump. Quand Brian De Palma tourne son film en 1987,
l'homme d'affaires est déjà au centre des média. J'ai regardé
quelques vidéos de Trump qui date de l'époque et vraiment je me
plais à croire que Robert De Niro a utilisé sa gestuelle (ses mains
qui s'agitent), sa voix, ses regards balayant ses interlocuteurs pour
créer son Al Capone. Comme d'habitude, Brian De Palma avait 30 ans
d'avance sur l'histoire.
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