Il
faut 8 bonnes minutes avant de voir la moindre image des Dix
commandements. Cecil B. DeMille vient en personne, traversant un
rideau de théâtre (ou de salle de cinéma comme il y en avait en
1956), pour expliquer une chose simple. Son film dure 3h39 minutes,
c'est-à-dire qu'il est tout de même plus court et plus distrayant
que la lecture du deuxième livre du Pentateuque, L'Exode. Cecil B.
DeMille l'explique dans son préambule, comme dans la bande annonce
d'époque d'une durée de 10 minutes, que tout ce qui concerne la vie
de Moïse entre sa naissance, son adoption par la sœur du Pharaon et
l'âge adulte où il se rend compte que son Peuple (je mets
volontairement une majuscule), n'existe pas dans la Bible.
Aucune
ligne ne concerne ces quelques années (combien d'ailleurs dans
l'Exode ? 30 au minimum). La première partie des 10
commandements est ainsi consacrée à cette histoire inventée de
toutes pièces pendant deux heures. Le nourrisson est menacé par
Ramsès I de mort. Dans l'Egypte, il y a 3000 ans comme le souligne
la voix solennelle du cinéaste, une prophétie annonce l'arrivée
d'un sauveur. Le peuple hébreu vit depuis quatre siècles dans
l'esclavage, à Gosen, à construire les tombeaux des pharaons, de la
brique de paille foulée aux pieds jusqu'à l'édification des
obélisques. Ramsès décide de tuer tous les premiers nés, une
habitude dans les récits bibliques. La mère de Moïse le met dans
un couffin et le fait glisser dans les eaux du Nil.
La
sœur du souverain le recueille et l'adopte en secret. Bithiah (Nina
Foch) choisit d'appeler ce nourrisson Moïse (la mère naturelle de
l'enfant ne lui a pas donné de nom) « car il vient de l'eau »
(texte biblique repris dans les dialogues). Elle fait jurer à sa
servante Memnet (Judith Anderson), la seule témoin, de ne jamais
révéler le secret. Ce qu'elle fera 30 ans plus tard. Au bout d'un
moment, Charlton Heston apparaît enfin pour incarner Moïse. Pour
l'instant, il revêt l'habit traditionnel d'un général de l'armée
du Pharaon. Ramsès est mort, Sethi (Cedric Hardwicke) est désormais
le souverain.
Moïse
est le fils préféré de Sethi. C'est son fils adoptif, ce qui rend
jaloux Ramsès (Yul Bruner). Voici l'arc principal de cette première
partie des 10 commandements, cette lutte du pouvoir entre le
fils légitime, le futur Ramsès II, et le fils choisi, celui qui
accomplit des miracles sur les champs de bataille. Lors de sa
première apparition, Moïse revient triomphant pour avoir conquis
l'Ethiopie. Dèjà, Moïse est choisi par un Dieu vivant, ce Pharaon,
avant qu'il ne le soit par un Dieu éternel. Ramsès lui est
bâtisseur, en tout cas, son père demande à ce qu'il construise sa
cité funéraire, grandiose forcément grandiose.
Magie
des effets visuels pour montrer ce tombeau où le nom de Moïse sera
gravé à côté de celui du Pharaon. Le but de Cecil B. DeMille est
d'en mettre plein la vue aux spectateurs avec des décors
monumentaux, qui sont certes incrustés par transparence derrière
les acteurs, mais c'est le nombre figurants qui impressionne. Les
décors ne seraient pas aussi grandioses sans les centaines de
figurants, ces esclaves qui poussent les sculptures gigantesques, qui
hérissent un obélisque entre deux sphinx. Mais comme le dit un
hébreu, tous ces Dieux de pierre ne valent rien en comparaison de
leur Dieu éternel dont on ne connaît pas le nom.
Cette
réussite architecturale, qui ravît Sethi au point de désigner
Moïse comme son successeur, ravive la jalousie de Ramsès qui s'est
vu retirer son rôle et sa place. Yul Brunner n'a pas la même
apparence physique que son frère adoptif. Certes tous les deux ont
la natte, mais Ramsès a la tête nue tandis que Moïse a conservé
ses cheveux. Dans la même genre de motif, Ramsès revêt un pagne,
certes royal, mais demeure torse nu quand Moïse porte une tunique
ornée de décorations, de colliers, de bijoux. Cela montre son
pouvoir et la place primordiale dans le pouvoir qu'il exerce et cela
sera opposé à son dénuement dans la deuxième partie.
La
jalousie de Ramsès s'exerce également en amour. Nefretiri (Anne
Baxter) doit épouser le futur souverain, mais lequel, Elle a sa
préférence, c'est Moïse. D'ailleurs Moïse aime en retour
Nefretiri. Le jeu outré et emphatique d'Anne Baxter, plein de gestes
paroxystiques et de regards pénétrés est l'une des plus grandes
énigmes du film. Certes, jamais le scénario ne fait dans la
dentelle, n'hésite à aller dans le grandiloquent, dans une
direction d'acteurs théâtrale, mais c'est Anne Baxter qui emporte
la palme. Quant à Ramsès, il clame à chaque dialogue qu'elle sera
son épouse et que le fils qu'elle portera sera son fils. « Que
cela soit écrit, que cela soit accompli », comme le scande le
Pharaon.
En
écho à ces déchirements amoureux, le film développe une deuxième
histoire d'amour entre le vaillant Joshuah (John Derek) et et la
ravissante Lilia (Debra Paget), deux esclaves. Cette dernière attise
la convoitise de Baka (Vincent Price, toute en sournoise suavité),
l'architecte des palais tout autant que celle de Dathan (Edward G.
Robinson), renégat hébreu à la solde des Egyptiens. Dathan est le
corrompu par essence, celui qui construit son bonheur sur le malheur
de son peuple asservi. Dathan est le personnage qui cherche toujours
à démontrer que Moïse n'est pas le prophète libérateur attendu
et encourage les hébreux à se soumettre davantage.
Passée
cette double romanesque extravagance amoureuse de l'extrême digne
d'un soap opéra (j'imagine aisément qu'une histoire d'amour aussi
basique était nécessaire pour attirer le spectateur hors de chez
lui) la première partie des 10 commandements retrouve les éléments
de la Bible, soit la compréhension par Moïse qu'il est hébreu, le
rejet de son rôle d'héritier et son arrivée à Gosen, le camp des
esclaves hébreux où il abandonne sa tunique, vit sous le fouet dans
les puits de boue qui servent à fabriquer des briques. Ainsi, il
aura vécu le haut comme le bas, mais plus il vit dans le dénuement
plus son destin semble l'appeler.
Contrairement
au texte de l'Exode – il faut bien dramatiser histoire de ne pas
s'ennuyer, et moi j'adore ce film – Ramsès II exile Moïse et lui
offre comme sceptre un bâton pour régner sur les scorpions du
désert. Il finira par rencontrer son épouse Sephora (Yvonne de
Carlo) et sa destinée, aller causer avec Dieu sur le montagne de feu
du mont Sinaï. C'est l'histoire du Buisson ardent, cette métaphore
divine à grand renfort d'effet spécial, comme sa coiffure qui
semble elle aussi s'enflammer affirmant son alliance avec l'Eternel
ou Dieu comme on l'appelle. Les effets spéciaux grandioses, ce sera
le point fort de la deuxième partie des 10 commandements.
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