Passer
des 10 commandements à Moïse et Aaron, c'est le grand
écart assuré, passer de l'immense cinémascope au cadre 1:37, des
grands décors et des effets spéciaux au hiératisme d'une poignée
d'acteurs dans une ruine. Pourtant les Straub n'envisagent pas leur
film autrement que comme du grand spectacle, dans une adaptation d'un
opéra d'Arnold Schönberg écrit en 1932 et inachevé, rarement joué
vu la petite popularité du compositeur.
Moïse
et Aaron est le deuxième film musical de Danièle Huillet et
Jean-Marie Straub mais commence par la voix parlée de Moîse, dans
un plan séquence de près de neuf minutes qui commence sur la nuque
du prophète. Il parle, de quoi ? De dieu bien entendu, ce Dieu
« unique, éternel, omniprésent, invisible et
irreprésentable » . Et Dieu lui répond mais cette fois en
chantant.
Dans
cette très belle ouverture c'est ainsi le dialogue paradoxal entre
l'homme qui parle, qui vit au présent, qui apparaît à la caméra
et le chant divin, composée de voix féminines dans une litanie. La
musique de Schönberg est lyrique, dans des envolées où les
harmonies s'opposent aux mélodies comme Dieu s'oppose à l'homme.
C'est un dialogue qui a lieu pendant l'épisode du buisson ardent
incarné par ces voix.
La
caméra commence ensuite un panoramique de près de 300°, quittant
la nuque de Moïse pour embrasser le paysage sur ces airs vocaux.
C'est le paysage qui est filmé qui va accueillir le grand événement
de la vie des deux frères, celui de l'épisode du veau d'or,
construit par Aaron pendant que Moïse est allé chercher les tables
de la Loi. C'est leur affrontement qui est mis en scène tout autant
que celui entre l'homme et le divin.
Après
Othon, ce nouveau film en costumes antiques dans des ruines
est d'une ampleur bien supérieure. Les Straub organisent une
chorégraphie avec cinq danseurs en peau de bête, on découvre le
serpent issu du bâton de Moïse, la main léprosée, l'eau devenue
sang et aussi l'orgie devant de veau d'or, avec bien moins de
figurants que chez Cecil B. DeMille. Straub et Huillet montrent la
chair avec ces corps nus.
J'avais
vu ce film au cinéma il y a quelques années (je crois que c'était
en 2001), j'en gardais des souvenirs forts. Mais cette fois, c'est la
musique et les chants (en allemand) qui m'ont impressionnés. La
construction musicale se répercute sur la construction des plans des
cinéastes, sur la composition des cadres avec des panoramiques
abrupts pour passer de Moïse aux autres personnages, c'est le cinéma
de la « frivolité » des Straub selon le bon mot de Serge
Daney.
Le
film est entièrement tourné en son direct, en tout cas les chants
de l'opéra, seule la musique était déjà enregistrée et diffusée
hors champ. Le peuple est représenté par 66 choristes de la radio
autrichienne et les Anciens par 17 basses et barytons. Le tout a été
filmé en Italie (comme Othon et Leçons d'histoire). Un seul plan a
été tourné en Egypte, à Louksor pour faire une image de la
traversée de la mer rouge.
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