Un
adjectif (Sauvage) et un prénom (Shéhérazade), deux
titres en un seul mot, deux premiers films où règne l'ultra
naturalisme avec comme première arme de style cette caméra à
l'épaule, gage de l'authenticité, de la force documentaire qui
tient en tenaille les scénarios de ces deux films. Et pourtant,
Shéhérazade ramène immédiatement au récit imaginaire, aux contes
des mille et une nuits, pareillement la première scène de Sauvage
est en faux-semblant.
Dans
un cabinet médical, notre personnage (Félix Maritaud qui n'en finit
d'enchaîner les rôle d'homo/gay/pédé après 120 battements par
minutes, Un couteau dans le cœur et Ultra rêve)
se fait ausculter. Le médecin lui demande d'enlever ses vêtements
puis touche son sexe en lui disant qu'il est bien dur. Camille
Vidal-Naquet lance son film comme dans certains porno, un scénario
prétexte pour aller vers des scènes de cul. Notre personnage (on
n'entend jamais son prénom) est une pute.
La
prostitution est au centre des deux films, à Paris dans le bois, à
Marseille dans des rues des quartiers pauvres, elle semble volontaire
pour gagner sa vie et jamais vraiment désignée comme telle. On est
loin de J'embrasse pas d'André Téchiné (d'ailleurs Félic
Maritaud embrasse volontiers ses clients) où on tentait d'analyser
pourquoi les personnages tombaient dans la prostitution. Ça démarre
comme un fait et personne ne veut vraiment en sortir.
Dans
Shéhérazade, le personnage éponyme (Kenza Fortas) croise
sur le coin du trottoir Zackary (Dylan Robert). Il est persuadé de
l'avoir connu en CE1, c'est-à-dire il y a un siècle, au temps de
l'innocence, désormais perdue. En 2018, Zackary sort de prison des
mineurs et Shéhérazade « arnaque » les mecs avec
d'autres filles, c'est ainsi qu'elles parlent des passes qu'elles
font, elles emploient constamment des euphémismes, des analogies
pour parler de leur activité.
C'est
le langage qui décrit ces personnages, on met un certain temps à
comprendre ce qu'ils disent, c'est une parole confuse qui semble
toujours minimiser les actes qu'ils vont commettre. Il a le verbe qui
blesse (sa confrontation avec un trans qui vit avec Shéhérazade)
plus que les poings (la scène où il vire les Bulgares pour avoir
leur rue). Ce langage devient un enjeu plus complexe dans la séquence
de procès où les mots du juge lui sont imperméables.
Dans
Sauvage, les scènes de cul alternent avec les longues
discussions avec un de ses collègues de bois (Eric Bernard). On
parle d'amour surtout car Sauvage est paradoxalement l'un des
films les plus romantiques vus récemment, un romantisme échevelé
où nos deux hommes rêvent de se caser, de trouver un homme qui
permettra de sortir du tapin, du bois, d'avoir enfin un toit.
Paradoxalement (encore), notre héros se rend compte qu'il déteste
ça.
C'est
la liberté qu'il admire et il aime le grand air. Les scènes de cul
sont toutes filmées en intérieur. Elle sont de plus en plus crues
mais souffrent d'effet de catalogue un peu fastidieux. Dans
Shéhérazade, Jean-Bernard Marlin s'occupe moins des passes
que de la contradiction qui envahit l'esprit de Zackary, tiraillé
entre son amour fou mais naïf et l'image qu'il peut donner à ses
camarades du quartier.
Zackary
ne veut pas passer pour un gamin (il est encore mineur quand commence
le récit de Shéhérazade et le film se déroule sur quelques
semaines), ni pour une balance (sa mère viendra lui rappeler que
l'omerta est meilleure que dire la vérité au juge), mais sa
violence se démultiplie dans ses contradictions. Le cinéaste filme
ce écart psychique comme un Tony Montana du pauvre, c'est dire si
finalement le naturalisme à la française n'est que de la fiction
foisonnante.
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