Je
poursuis ma courte exploration du cinéma de Piotr Szulkin, troisième
film du moi au titre franchement étrange O-bi, O-ba, la fin de la
civilisation. Si Le Golem et La Guerre des mondes, le
siècle prochain avaient des scènes à l'extérieur, celui-là
se résout à enfermer Soft (Jerzy Stuher), son personnage principal,
dans un dédale de couloirs, caves, sous-sol, espaces clos. La teinte
générale du film s'en trouve marquée, littéralement glauque,
grisâtre, verdâtre, bref la couleur de la mort, la couleur de ces
néons qui aveuglent et rendent malades.
L'une
des choses les plus sûres dans O-bi, O-ba, la fin de la
civilisation est que Soft ne s'arrête jamais de circuler. Moyen
très efficace de montrer la populace qui vit là dans des conditions
inhumaines. Tout le monde se ressemble, tout le monde semble habillé
de haillons, des tenues devenues sans couleur, les visages sont
mâchurés, les traits tirés par la fatigue de tourner en rond pour
quémander un peu de nourriture. Comme dans Soleil vert, on
dispense des biscuits pour la population qui sortent d'un tuyau au
beau milieu de la foule.
C'est
au fil de ses pérégrinations dans le dédale de ce blockhaus que
Soft apprendra d'où vient les biscuits. Non pas de la chair humaine
comme chez Richard Fleischer mais plus prosaïquement de la
cellulose. Un type, vu en fin de film, jette les livres dans une
centrifugeuse qui recycle dans une bouillie infâme. Tout ce trajet
pour arriver là vient de la volonté d'avoir des explications sur un
projet a priori secret, celui de l'Arche. Or Soft cherche des
indications sur cette arche libératrice dans un livre, la Bible. Le
type de la centrifugeuse l'a recyclé comme les autres.
Dans
les hauts-parleurs installés partout sur les murs, une voix déclare
ad libidum « l'Arche n'existe pas et ne viendra jamais, ne
croyez pas ces ragots et ces superstitions ridicules, votre avenir
dépend de vous et uniquement de vous ». Mais comme le dit un
enfant engoncé dans son manteau, si la voix le répète tant et le
nie tant, c'est que ça doit forcément exister. Et Soft est là à
rencontrer des gens sous ce dôme post apocalypse des gens qui ont
l'espoir et la foi de s'en sortir, encore et toujours la religion
contre le communauté.
Comme
dans les deux films précédents, les rencontres avec d'autres
survivants moins soumis aux biscuits se font devant une caméra qui
virevolte, qui tourne autour de ses personnages avant d'entamer un
champ contre-champ lors des longues discussions de plus en plus
obscures sur l'avenir de la population. Soft, comme le spectateur que
je suis, cherche des explications à ce qui se passe devant ses yeux,
mais plus c'est simple plus c'est compliqué comme écrivait Witold
Gombrowicz. Effectivement, dans cette quête rien n'est simple.
Les
confrontations sont violentes, les yeux des tous les acteurs sont
exorbités avec de rapides mouvements de caméra (ni zoom ni
travelling, la caméra est portée) sur les visages. Les visages sont
finalement les seuls paysages du film tant ils contrastent avec les
aplats des décors qui perturbent les sens. Entre néons, murs sales
et tuyaux qui sortent d'ici et là, comme Soft personne n'est capable
de savoir où il est. Chaque porte ouvre vers un nouveau personnage
avec son lot d'inconnus.
On
sort temporairement du glauque avec quelques couleurs vives lorsque
Soft retrouve Gea (Krystyna Janda) dans un bar réservé aux riches.
Gea est la porte vers l'extérieur, elle prépare l'évasion de
l'Arche, non pas avec l'avion que cherche Soft (et qui est démonté
pour servir de matière première) ni avec la Bible (elle aussi
démontée pour les biscuits) mais avec les couleurs (rouge surtout),
la poésie (elle installe des fils de funambule) et l'amour (avec
Soft). A moins que tout ne soit qu'une funeste illusion comme le
suggère le dernier plan.
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