Dès
les premiers plans, dès que le générique est fini, un générique
composé d'images télé, reportages et news, la bonne nouvelle est
là, La Haine est d'une grande beauté. Je n'avais pas revu le film
depuis sa sortie et c'est ce qui ressort immédiatement, le soin
extrême de la photographie de Pierre Aïm, le chef opérateur de
Mathieu Kassovitz. Mieux que cela, le montage est d'une grâce
intense, c'est sans doute cela qui surprend et émeut le plus à voir
sur grand écran La Haine pour se ressortie estivale.
Je
me suis souvent moqué des mauvais cinéastes qui restent persuadés
que les longs et larges mouvements d'appareil sont la preuve d'une
mise en scène moderne. Les doux mouvements de caméra, travellings,
panoramiques circulaires en plans très longs contrastent tellement
avec la manière actuelle de filmer la « banlieue »
(caméra portée à l'épaule, immersion à la Dardenne où l'on suit
au pas les personnages) que c'en est surprenant. C'est effectivement
depuis Rosetta, je crois, que le filmage social s'est figé dans le
style reportage.
Le
noir et blanc est une totale réussite. Là encore, il permet de
traverser les époques. En regardant La Haine hier soir en salles, je
me suis dit que rien n'avait bougé. J'ai évidemment pensé aux
Misérables de Ladj Ly (je le regarderai dans 25 ans) et à cet effet
miroir (on suit trois flics aujourd'hui, Kassovitz suivait trois
clampins hier). Le noir et blanc scrute la peau de nos trois jeunes,
Vinz (Vincent Cassel), Saïd (Saïd Taghmaoui) et Hubert (Hubert
Koundé) dans une seule journée, de 10h38 (on se lève tard) au
lendemain vers 6h (on se couche tard).
Une
ville de banlieue, laquelle ça n'est pas dit, n'importe quelle ville
mais une ville où une bavure policière a dévasté le quartier
(expression consacrée), le poste de police est détruit mais pire
que cela, la salle de boxe d'Hubert a été incendiée. C'est là que
Vinz et Saïd le retrouvent, il s'entraîne contre un punching-bag,
le regard triste. La nouvelle du jour, c'est autant la bavure que ce
pistolet perdu par un flic. Vinz va au bout d'un moment confesser
qu'il a retrouvé le flingue, que le flingue est chargé et il se
promène avec le reste de la journée, le flingue dans le slip.
Dans
cette journée du lendemain, ça commence par la famille de Vinz. La
petite sœur à la fenêtre qui réplique à Saïd avec des phrases
du sketch des Inconnus (« ah pour quoi faire ? »).
Une famille juive, selon les mots des personnages. Saïd est le
musulman et Hubert arbore une croix catholique autour du cou, visible
lorsqu'il fait de la boxe torse-nu. Ce sera l'unique allusion à la
religion de tout le film, on n'évoque d'ailleurs à peine les
communautés. Non, dans La Haine c'est comme dans Les Misérables,
les habitants du coin contre la police.
Dans
ce petit jeu chacun des trois personnages à son modèle. Vinz se
rêve dans un film de Scorsese, il imite Robert De Niro dans sa
glace, torse nu, il reprend les répliques de Taxi driver. Hubert a
pour modèle Mohamed Ali dont les posters sont placardés dans sa
petite chambre (on rencontre aussi la famille de Hubert, là encore
que des femmes comme chez Vinz). Saïd vit dans le Scarface de Brian
De Palma, se voit le nouveau Tony Montana avec ses trafics de drogue
minables qui les emmène à Paris. Il va taguer une affiche de pub
pour modifier le slogan « le monde est à vous ».
Le
trio est épuisant, certes parce qu'il passe son temps à marcher en
long en large et en travers. Les trois garçons se chamaillent à
tout bout de champ, ils s'engueulent, ils se menacent, ils se
séparent, ils se retrouvent. Et ils causent sans cesse. Comme dans
un film d'Eric Rohmer, il faut s'habituer, puis on se rend compte que
ce qui fait que le film n'a pas pris une ride est justement la force
des dialogues, mieux que ça la musicalité des dialogues, avec
parfois des superpositions cacophoniques, des dialogues de sourds ou
des soliloques désespérés.
De
la banlieue à Paris, on retrouve avec amusement des acteurs connus
aujourd'hui (Karin Viard dans un vernissage, Benoît Magimel lors du
barbecue merguez à 5 francs), disparus (Philippe Nahon en flic),
d'autres anciens espoirs du cinéma français (Edouard Montoute,
François Levantal, Zinédine Souallem) et aussi Mathieu Kassovitz en
personne dans une apparition dans la peau d'un skinhead qui va se
faire sérieusement tabassé par le trio. Mathieu Kassovitz n'a
jamais fait mieux que La Haine, avec 25 ans de recul, ça
paraît encore plus évident.
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