jeudi 20 août 2020

La Haine (Mathieu Kassovitz, 1995)


Dès les premiers plans, dès que le générique est fini, un générique composé d'images télé, reportages et news, la bonne nouvelle est là, La Haine est d'une grande beauté. Je n'avais pas revu le film depuis sa sortie et c'est ce qui ressort immédiatement, le soin extrême de la photographie de Pierre Aïm, le chef opérateur de Mathieu Kassovitz. Mieux que cela, le montage est d'une grâce intense, c'est sans doute cela qui surprend et émeut le plus à voir sur grand écran La Haine pour se ressortie estivale.

Je me suis souvent moqué des mauvais cinéastes qui restent persuadés que les longs et larges mouvements d'appareil sont la preuve d'une mise en scène moderne. Les doux mouvements de caméra, travellings, panoramiques circulaires en plans très longs contrastent tellement avec la manière actuelle de filmer la « banlieue » (caméra portée à l'épaule, immersion à la Dardenne où l'on suit au pas les personnages) que c'en est surprenant. C'est effectivement depuis Rosetta, je crois, que le filmage social s'est figé dans le style reportage.

Le noir et blanc est une totale réussite. Là encore, il permet de traverser les époques. En regardant La Haine hier soir en salles, je me suis dit que rien n'avait bougé. J'ai évidemment pensé aux Misérables de Ladj Ly (je le regarderai dans 25 ans) et à cet effet miroir (on suit trois flics aujourd'hui, Kassovitz suivait trois clampins hier). Le noir et blanc scrute la peau de nos trois jeunes, Vinz (Vincent Cassel), Saïd (Saïd Taghmaoui) et Hubert (Hubert Koundé) dans une seule journée, de 10h38 (on se lève tard) au lendemain vers 6h (on se couche tard).

Une ville de banlieue, laquelle ça n'est pas dit, n'importe quelle ville mais une ville où une bavure policière a dévasté le quartier (expression consacrée), le poste de police est détruit mais pire que cela, la salle de boxe d'Hubert a été incendiée. C'est là que Vinz et Saïd le retrouvent, il s'entraîne contre un punching-bag, le regard triste. La nouvelle du jour, c'est autant la bavure que ce pistolet perdu par un flic. Vinz va au bout d'un moment confesser qu'il a retrouvé le flingue, que le flingue est chargé et il se promène avec le reste de la journée, le flingue dans le slip.

Dans cette journée du lendemain, ça commence par la famille de Vinz. La petite sœur à la fenêtre qui réplique à Saïd avec des phrases du sketch des Inconnus (« ah pour quoi faire ? »). Une famille juive, selon les mots des personnages. Saïd est le musulman et Hubert arbore une croix catholique autour du cou, visible lorsqu'il fait de la boxe torse-nu. Ce sera l'unique allusion à la religion de tout le film, on n'évoque d'ailleurs à peine les communautés. Non, dans La Haine c'est comme dans Les Misérables, les habitants du coin contre la police.

Dans ce petit jeu chacun des trois personnages à son modèle. Vinz se rêve dans un film de Scorsese, il imite Robert De Niro dans sa glace, torse nu, il reprend les répliques de Taxi driver. Hubert a pour modèle Mohamed Ali dont les posters sont placardés dans sa petite chambre (on rencontre aussi la famille de Hubert, là encore que des femmes comme chez Vinz). Saïd vit dans le Scarface de Brian De Palma, se voit le nouveau Tony Montana avec ses trafics de drogue minables qui les emmène à Paris. Il va taguer une affiche de pub pour modifier le slogan « le monde est à vous ».

Le trio est épuisant, certes parce qu'il passe son temps à marcher en long en large et en travers. Les trois garçons se chamaillent à tout bout de champ, ils s'engueulent, ils se menacent, ils se séparent, ils se retrouvent. Et ils causent sans cesse. Comme dans un film d'Eric Rohmer, il faut s'habituer, puis on se rend compte que ce qui fait que le film n'a pas pris une ride est justement la force des dialogues, mieux que ça la musicalité des dialogues, avec parfois des superpositions cacophoniques, des dialogues de sourds ou des soliloques désespérés.

De la banlieue à Paris, on retrouve avec amusement des acteurs connus aujourd'hui (Karin Viard dans un vernissage, Benoît Magimel lors du barbecue merguez à 5 francs), disparus (Philippe Nahon en flic), d'autres anciens espoirs du cinéma français (Edouard Montoute, François Levantal, Zinédine Souallem) et aussi Mathieu Kassovitz en personne dans une apparition dans la peau d'un skinhead qui va se faire sérieusement tabassé par le trio. Mathieu Kassovitz n'a jamais fait mieux que La Haine, avec 25 ans de recul, ça paraît encore plus évident.

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