A
force de regarder le film, je me suis dit que le vrai sujet du
Syndicat
du crime, c’est le
sourire de Chow Yun-fat. D’ailleurs, quand on regarde Just
heroes,
également avec Ti Lung,
dans lequel l’acteur est « remplacé » par Stephen
Chow, John Woo demande à ce dernier d'imiter le sourire de Chow
Yun-fat. Le cinéma de John Woo c'est filmer des sourires enfantins
d'hommes faisant des choses répréhensibles.
Faire
sourire Chow Yun-fat dès le début du film est l’idée maîtresse.
Le scénario va ensuite consister à lui enlever sa bonne humeur et
ce sourire qui contraste avec la profession qu’il exerce. Il va
s’agir de durcir sa vie, de détruire son corps et sa belle gueule
d’ange. A l’époque où Le
Syndicat du crime est
tourné, Chow Yun-fat est l’acteur le plus sexy de Hong Kong. C'est
rien de la dire.
Sa
popularité, il la doit à ses rôles dramatiques à la télévision
dans les années 1970. Popularité qui ne s’est jamais démentie
lors de son passage au cinéma malgré la somme de navets qu’il a
tourné avant sa rencontre avec John Woo et Tsui Hark (j'en ai vu
quelques uns). Les deux hommes ont comme ambition de détruire son
image de belle gueule et cela va propulser l’acteur au firmament de
la gloire.
Chow
Yun-fat est Mark. Il travaille avec Ho (Ti Lung, acteur de la Show
Brothers), ils fabriquent des faux dollars américains. Shing (Waise
Lee) est le troisième compère de la bande. Pour l’instant, il est
le chauffeur de Ho. Ce qui est génial avec les faux billets, c'est
qu'ils peuvent aussi servir à allumer les cigares, créant l'une des
images les plus célèbres de Chow Yun-fat et du cinéma de John Woo.
Le
prologue du film, pratiquement silencieux, presque sans dialogue, est
un court-métrage en lui-même. Le trio en grande tenue de truands,
c'est-à-dire lunettes noires, pardessus, cravate sombre, costume
croisé. Ils traversent le cadre, d'un pas décidé sur la musique
intemporelle du film qui sera déclinée sur tous les styles suivant
le ton que veut adopter John Woo pour chaque séquence (tension,
drame, romance).
Ho
a un petit frère, Kit (Leslie Cheung) est la joie de vivre incarné.
Seulement voilà, il est à l'école de police. Par un tour de force
scénaristique que j'ai toujours jugé improbable, Kit ignore tout
des activités de son frère. Quand bien même le film sous-entend
qu'il a plus ou moins pris la relève de leur père (Tien Feng). Ce
secret – ou ce mensonge – va bouleverser la vie de Kit.
La
police de Hong Kong cherche à mettre fin au trafic de faux billets.
C’est une des raisons pour laquelle la bande va à Taïwan vendre
les faux dollars. Là-bas, Ho se fait prendre et passe trois ans en
prison. De retour à Hong Kong, il va tenter de refaire sa vie comme
chauffeur de taxi avant que son passé ne le rattrape. Mark est
devenu estropié (toujours cette idée de l'enlaidir), Shing est
devenu le grand boss.
Le
Syndicat du crime est
un film d’amour et de haine. La trame criminelle sert à faire et
défaire les couples. Il n’y a qu’une seule femme dans tout le
film : Jackie (Emily Chu) la fiancée de Kit. Ce couple est
bancal. Cela passe d'abord par du burlesque pur (la scène de
violoncelle avec Tsui Hark) puis par la métaphore de deux forces
opposées : rester fidèle à ses engagements de policier et
l'amour pour son grand frère.
Le
vrai couple du Syndicat
du crime est composé
de Mark et Ho. Ce sont plus que des frères d’armes, John Woo les
filme vraiment comme des amoureux comme dans ce moment où ils se
retrouvent une fois la peine de prison de Ho purgée. Ho aperçoit
Mark sur le trottoir d’en face dans un sale état, vêtu de
haillons, boitillant. Il n’est plus qu’un larbin depuis que Shing
a pris le pouvoir. Ce dernier lui jette quelques dollars par terre
après que Mark lui ouvre la portière de sa voiture.
Le
regard que Ho jette à Mark n’est pas celui de la pitié, mais
celui de l’amour retrouvé trois ans plus tard. Ho va rejoindre
Mark dans le sous-sol de l’immeuble et là leurs retrouvailles sont
celles de deux amants éperdus d’amour l’un pour l’autre.
Malgré la déchéance de Mark, malgré son sourire perdu. Ils ne
cesseront de se toucher, de se frôler et de se regarder dans les
yeux pendant tout le reste du film.
Kit
rejette son grand frère de toutes ses forces alors même que
celui-ci s’est rangé, qu’il tente de refaire sa vie. A priori,
en tant que policier il devrait être satisfait du changement de Ho,
mais Kit ne peut pas admettre que Mark et Ho pérennisent ainsi leur
couple. Jackie, la gentille fiancée, n’y pourra rien. Il n’y
aura que la mort de Mark qui fera revenir Kit dans la vie de Ho dans
un gunfight
dont John Woo a le secret.
Ce
secret est de jouer sur l'épuisement de ses personnages. La dernière
séquence consiste à un règlement de comptes entre Kit, Shing, Ho
et Mark. Ça dure à peu près dix minutes où les corps sont mis à
l'épreuve pendant une nuit où il faut éviter les coups de feu
ennemis, suer comme un bœuf, courir d'un abri à un autre, recevoir
des giclées de sang et se faire blesser. A ce rythme, peu s'en
sortiront pour le N°2.
C'est
ainsi John Woo se démarquait de l’influence que Tsui Hark. Il
transforme un banal film d’action en drame romantique. Le sous
texte érotique n’est jamais présent dans le cinéma de Tsui Hark
qui, au contraire, fait des films sensuels mais prudes. Ce que
produit John Woo dans Le
Syndicat du crime va
au-delà de qui était présent dans le cinéma de Chang Cheh, dont
on clame qu'il est son inspiration majeure.
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