Les
boites à musique avec leur ritournelle surannée et aiguë, avec la
petite danseuse immobile qui tourne sur elle-même peuvent rendre
fou. Celle que Archibald a reçu enfant l'a rendu fou. Luis Buñuel
commence l'exploration de la vie de criminel d'Archibaldo de la Cruz
par son enfance, un gamin né dans une bonne famille. Une voix off,
celle de lui adulte (Ernesto Alonzo) qui se souvient de tout et
débute son récit ô combien subjectif de sa vie qui tourne toute
entière autour de cette boîte à musique surmontée d'une danseuse.
Dans
ses souvenirs, il se voit comme un enfant espiègle qu'une nurse doit
garder pendant que les parents, de bons bourgeois de Mexico sont de
sortie. Archibaldo n'a jamais eu à se soucier de son avenir mais
dehors, la révolution mexicaine gronde, on entend des coups de feu,
on voit des soldats dans les rues. Une balle perdue se loge dans la
gorge de la nurse mais l'enfant Archibaldo est persuadé qu'il a,
grâce à cette boite à musique, et la vision de la morte, de son
sang sur son corps provoque chez le gamin un extase érotique.
Il
est devenu persuadé d'avoir le pouvoir de tuer les femmes. La
religieuse qui le soigne dans l’hôpital va en faire les frais, lui
qui raconte cette histoire va effrayer cette infirmière qui s'enfuie
et dans sa course finit dans le trou de l'ascenseur, la porte n'était
pas fermée. Dans ces deux premières morts qui arrivent dans les 10
premières minutes, on remarque un verre de lait, comme un rappel de
Soupçons d'Hitchcock,
c'est l'annonce d'une morte à venir, Luis Buñuel joue sur ce simple
verre pour mieux égarer le spectateur d'ailleurs.
Car
chaque fois qu'on voit une femme arriver dans la vie d'Archibaldo,
chaque fois qu'on voit un verre de lait et chaque fois qu'on entend
la musiquette, on croit savoir ce qui va se passer mais la malice du
cinéaste fait déjouer les plans attendus. Simple exemple celui de
Patricia Terrazas (Rita Macedo), femme fantasque qui passe son temps
à se chamailler avec son mari. Elle séduit Archibaldo avant de
l'éconduire proprement, elle part en voiture, emboutit un mur mais
elle s'amuse presque de cet accident.
Elle
ne meurt pas dans l'accident automobile, Archibaldo ne l'a pas causé
mais quelques scènes plus tard, sa mort est annoncé, un suicide
cette fois et là à nouveau Archibaldo se persuade à nouveau de
pouvoir tuer les femmes. Il va ainsi se confronter à deux femmes aux
caractères diamétralement, sa fiancée potentielle Carlota (Ariana
Welter) à qui il offre des poteries qu'il confectionne en personne
et Liviana (Miroslava, star du cinéma mexicain morte en pleine
gloire), guide touristique qui fait visiter Mexico à des Américains.
L'une
est catholique, surveillée par une mère qui évoque Miss Danvers de
Rebecca (encore Hitchcock, sans doute la référence ultime,
tout comme ces flash-backs fallacieux), convoité par un homme fou de
jalousie. Archibaldo voit Carlota toujours chez elle, coincé dans
une maison obscure, il voit Liviana dans les rues, elle s'invite chez
lui pour montrer au touriste l'atelier de porterie. L'autre est libre
dans son corps, si libre qu'elle pose pour les artistes, elle est le
modèle pour un mannequin support pour les vêtements. Ce mannequin
qui va devenir la figure centrale du film.
Car
dans les deux cas, avec son verre de lait, Archibaldo rêve de tuer
les deux femmes. Il imagine tuer d'un coup de feu Carlota lors de
leur mariage, il envisage de tuer Liviana en l'étranglant puis de
l'incinérer dans son four de potier. Sa folie meurtrière ne cesse
de grandir au fur et à mesure que sa frustration sexuelle le mine.
En fin de film, la jambe du mannequin qui se détache rappelle ce
plan de sa nurse sur laquelle il a son unique plaisir érotique. Luis
Buñuel finit son film sur une double pirouette comble de l'ironie
qui le caractérise.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire