J'aime
beaucoup l'acteur Eugene Palette. Sa bonne bouille lui permet de
passer de la mine renfrognée à la communicative jovialité. Ses
rôles les plus célèbres sont dans My man Godfrey de Gregory
LaCava, Steamboat round the bend de John Ford ou Robin des
bois de Michael Curtiz. Pour Julien Duvivier, il déploie son
génie pour camper un majordome, peu de scènes mais son embonpoint
occupe tout le cadre. C'est un personnage de passeur entre les trois
premiers sketches de Six destins.
Il
passe quoi ? Un costume queue de pie, tenue nécessaire pour
faire chic en soirée. La véritable question que se posent les
personnages et notamment le majordome est : est-ce que cette
veste est un porte bonheur ou apporte-t-elle la poisse à celui qui
la porte. Elle vient d'un tailleur réputé, arrive par ascenseur
portée par quatre employés comme si la queue de pie était un joyau
à protéger. L'objet du destin de ces contes à Manhattan est
présenté, il ne reste plus qu'à introduire ceux qui seront les
objets du destin.
Deux
histoires d'amour pour commencer autour de l'adultère. Un comédien,
Charles Boyer retrouve sa maîtresse Rita Hayworth après sa pièce.
Dans la pièce, il se faisait tuer par la comédienne, chez sa
maîtresse, il se fait viser par l'époux récalcitrant, passionné
de chasse. Le drame se noue dans le pavillon de chasse rempli de bois
de cerfs (un symbole de virilité) où notre comédien doit jouer
celui qu'il n'est pas et ne pas céder à la menace devant un fusil
chargé. Le majordome refile la queue de pie à un de ses collègues.
Cette
fois l'adultère prend des ressorts comiques, un vaudeville autour de
Cesar Romero, Henry Fonda et Ginger Rogers. Un enterrement de vie de
garçon bien arrosé, une lettre d'amour dans la poche du queue de
pie, une fiancée et sa meilleure amie qui lisent la missive et Henry
Fonda, tout timide, qui vient profiter de la situation pour séduire,
en douceur, Ginger Rogers, de manière totalement opposée à la
grande gueule de Cesar Romero. Une nouvelle fois la veste porte
malheur à celui qui la porte et Eugene Palette en change de
propriétaire une troisième fois.
Les
deux destins suivants tournent autour de la misère, un compositeur
de musique trop costaud (Charles Laughton) convainc Bellini de
pouvoir jouer sa musique dans une grande salle, le costume se déchire
sous ses bras. C'est ensuite Edward G. Robinson qui porte la veste.
Il est un clochard qui doit assister à une réunion avec ses anciens
camarades d'étude, la classe 1917. L'un d'eux, qui connaît son
destin, va lui faire son procès public. Ce sont essentiellement des
numéros d'acteurs qui valent ici (Charles Laughton ressemble ici à
Michel Simon dans La Fin du jour).
Le
cinquième segment a longtemps été supprimé du film. W.C. Fields
porte le costume pour piquer de l'argent à des dames patronnesses
membres d'une ligue de lutte contre l'alcool dirigée par Margaret
Dumont, le souffre-douleur habituelle de Groucho Marx. Le comique au
gros nez a pris soin de mettre de l'alcool dans la boisson censée la
remplacer et il se tire vite fait en prenant le pognon avec son
comparse. C'est l'épisode le plus amusant, le plus immoral, il a été
intégré 40 ans après dans le film.
La
morale est précisément l'objet du dernier sketch. Des Noirs pauvres
dans un hameau où rien ne pousse, où les arbres semblent morts, où
les maisons sont en ruine voient tomber du ciel la veste remplie de
billets. Doivent-ils en profiter (le discours de l'un d'eux est
clairement communiste) ou se fier aux volontés de Dieu (après tout
l'argent tombe du ciel) ? Cette partie est ambiguë, reprenant
les clichés sur les Noirs tout en montrant leur terrible sort et
leur solitude mais également leur solidarité.
C'était
le premier film hollywoodien de Julien Duvivier, parti s'exiler comme
Jean Renoir ou René Clair. La forme du film à sketches n'est pas
sans rappeler celle d'Un carnet de bal où un prétexte
quelconque passant de personnage en personnage permet de scruter
l'état du pays. De la haute bourgeoisie particulièrement infecte au
prolétariat pour lequel le cinéaste a toute sa sympathie, du haut
(les buildings de Manhattan) au bas (le clochard), de la légèreté
au pathos, du mélo au comique.
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