jeudi 15 mars 2018

Six destins (Julien Duvivier, 1942)

J'aime beaucoup l'acteur Eugene Palette. Sa bonne bouille lui permet de passer de la mine renfrognée à la communicative jovialité. Ses rôles les plus célèbres sont dans My man Godfrey de Gregory LaCava, Steamboat round the bend de John Ford ou Robin des bois de Michael Curtiz. Pour Julien Duvivier, il déploie son génie pour camper un majordome, peu de scènes mais son embonpoint occupe tout le cadre. C'est un personnage de passeur entre les trois premiers sketches de Six destins.

Il passe quoi ? Un costume queue de pie, tenue nécessaire pour faire chic en soirée. La véritable question que se posent les personnages et notamment le majordome est : est-ce que cette veste est un porte bonheur ou apporte-t-elle la poisse à celui qui la porte. Elle vient d'un tailleur réputé, arrive par ascenseur portée par quatre employés comme si la queue de pie était un joyau à protéger. L'objet du destin de ces contes à Manhattan est présenté, il ne reste plus qu'à introduire ceux qui seront les objets du destin.

Deux histoires d'amour pour commencer autour de l'adultère. Un comédien, Charles Boyer retrouve sa maîtresse Rita Hayworth après sa pièce. Dans la pièce, il se faisait tuer par la comédienne, chez sa maîtresse, il se fait viser par l'époux récalcitrant, passionné de chasse. Le drame se noue dans le pavillon de chasse rempli de bois de cerfs (un symbole de virilité) où notre comédien doit jouer celui qu'il n'est pas et ne pas céder à la menace devant un fusil chargé. Le majordome refile la queue de pie à un de ses collègues.

Cette fois l'adultère prend des ressorts comiques, un vaudeville autour de Cesar Romero, Henry Fonda et Ginger Rogers. Un enterrement de vie de garçon bien arrosé, une lettre d'amour dans la poche du queue de pie, une fiancée et sa meilleure amie qui lisent la missive et Henry Fonda, tout timide, qui vient profiter de la situation pour séduire, en douceur, Ginger Rogers, de manière totalement opposée à la grande gueule de Cesar Romero. Une nouvelle fois la veste porte malheur à celui qui la porte et Eugene Palette en change de propriétaire une troisième fois.

Les deux destins suivants tournent autour de la misère, un compositeur de musique trop costaud (Charles Laughton) convainc Bellini de pouvoir jouer sa musique dans une grande salle, le costume se déchire sous ses bras. C'est ensuite Edward G. Robinson qui porte la veste. Il est un clochard qui doit assister à une réunion avec ses anciens camarades d'étude, la classe 1917. L'un d'eux, qui connaît son destin, va lui faire son procès public. Ce sont essentiellement des numéros d'acteurs qui valent ici (Charles Laughton ressemble ici à Michel Simon dans La Fin du jour).

Le cinquième segment a longtemps été supprimé du film. W.C. Fields porte le costume pour piquer de l'argent à des dames patronnesses membres d'une ligue de lutte contre l'alcool dirigée par Margaret Dumont, le souffre-douleur habituelle de Groucho Marx. Le comique au gros nez a pris soin de mettre de l'alcool dans la boisson censée la remplacer et il se tire vite fait en prenant le pognon avec son comparse. C'est l'épisode le plus amusant, le plus immoral, il a été intégré 40 ans après dans le film.

La morale est précisément l'objet du dernier sketch. Des Noirs pauvres dans un hameau où rien ne pousse, où les arbres semblent morts, où les maisons sont en ruine voient tomber du ciel la veste remplie de billets. Doivent-ils en profiter (le discours de l'un d'eux est clairement communiste) ou se fier aux volontés de Dieu (après tout l'argent tombe du ciel) ? Cette partie est ambiguë, reprenant les clichés sur les Noirs tout en montrant leur terrible sort et leur solitude mais également leur solidarité.


C'était le premier film hollywoodien de Julien Duvivier, parti s'exiler comme Jean Renoir ou René Clair. La forme du film à sketches n'est pas sans rappeler celle d'Un carnet de bal où un prétexte quelconque passant de personnage en personnage permet de scruter l'état du pays. De la haute bourgeoisie particulièrement infecte au prolétariat pour lequel le cinéaste a toute sa sympathie, du haut (les buildings de Manhattan) au bas (le clochard), de la légèreté au pathos, du mélo au comique.






























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