A
sept ans, la princesse Sophie-Frédérique de Prusse veut être
danseuse, rêve de petite fille que sa mère va s'empresser de
briser. Dans son lit, l'enfant est malade, un médecin la soigne,
tout le monde est à son chevet, son papa fume la pipe, la maman
vient immédiatement le gronder et demande aux servantes d'enlever
les poupées jonchées sur le lit. A sept ans, il faut déjà
préparer le mariage, si possible royal avec Sophie-Frédérique,
elle a passé l'âge de jouer.
Cette
mère est un peu le bourreau de l'enfant, alors la fillette veut elle
aussi devenir bourreau, bien qu'elle ne sache pas ce que cela veut
dire. On lui raconte en détail et à l'image les détails des
tortures des gens de pouvoir sont illustrées, tel un livre d'images
dont Josef von Sternberg tournerait les sinistres pages. Une pauvre
femme dans un sarcophage, des décapitations, des femmes brûlées
vives, un pendant de cloche remplacé par un autre hère.
La
lettre tant attendue arrive enfin. Le roi de Prusse a arrangé un
superbe mariage pour Sophie-Frédérique qui a désormais 17 ans et
qui est jouée par Marlene Dietrich qui s'amuse à faire l'enfant,
avec ce léger regard aux yeux écarquillés. Elle embrasse les mains
de toutes ses tantes et de ses parents dans l'attente de la bonne
nouvelle. Elle devra épouser l'héritier de la « Divine
Russie », le grand-duc Pierre. Sophie-Frédérique va quitter
ses jeux de jeune femme pour la Russie.
Elle
sera escortée par le troublant comte Alexei (John Lodge), géant au
regard ténébreux qui vient apporter des cadeaux à la famille, dont
un manteau de zibeline à Sophie-Frédérique. Alexei décrit la
beauté, l'intelligence et la force du grand-duc, la jeune femme
palpite d'émotion à ce portrait flatteur qui n'est autre que celui
du comte Alexei. Le regard de ce dernier ne dupe personne sauf
Sophie-Frédérique, il s'imagine déjà dans les bras de la
princesse de Prusse.
La
voyage de la Prusse à Moscou est rude (même si le tsar résidait à
Saint-Pétersbourg à cette époque), il se fait en carrosse, à
travers les plaines enneigées. Maman accompagne Sophie-Frédérique,
maman se plaint des auberges modestes, maman se plaint du froid,
maman se plaint de la rudesse du comte Alexei. L'arrivée au palais
se fait enfin et cela commence par une présentation à l'impératrice
Elisabeth Petrovna (Louise Dresser) qui accueille la princesse avec
empressement.
De
la demeure simple au palais impérial, Josef von Sternberg change
d'échelle. Le trône de l'impératrice est monumental, un immense
aigle surplombe la souveraine dodue, on découvre à sa droite le
prince consort sur un petit fauteuil. Les décors n'ont jamais eu une
aussi grande importance que dans L'Impératrice rouge, leur
démesure décrit la folie qui règne dans cette cour, la
dégénérescence de cette dynastie. Sophie-Frédérique se sent
minuscule dans ce palais.
Pour
passer d'une pièce à l'autre, il faut pousser d'immenses et lourdes
portes au loquet imposants (ils s'y mettent à plusieurs), le festin
des noces est une débauche de plats (le peuple meurt de faim) mais
ce qui est le plus impressionnant ce sont les innombrables statues
grises (Saints et ancêtres), aux formes cadavériques, d'une
maigreur effrayante, comme si elles avaient été torturées par un
bourreau, revenant ainsi à l'enfance de la princesse.
Sophie-Frédérique
ne quittera jamais ce palais et va abandonner son prénom et devenir
Catherine en épousant ce grand-duc qu'elle découvre enfin. Pierre
(Sam Jaffe) n'est pas dissemblable de ces statues, un grand maigre à
moitié idiot, à moitié enfant qui ne se sépare jamais des ses
jouets, des marionnettes de soldats que ramasse la comtesse Lizzie
(Ruthelma Stevens), assignée à cette ingrate tâche. Il est loin de
l'image décrite par le comte Alexei.
Le
mariage est l'une des plus belles scènes de L'Impératrice rouge.
Derrière son voile blanc virginal, tenant une bougie, Catherine
observe bouche bée les béatifications. Plutôt que d'alterner avec
des gros plans du grand-duc Pierre, Josef von Sternberg filme le
comte Alexei, comme s'il était lui-même l'époux avant de finir
avec une embrassade des deux mariés, créant un sentiment d'horreur
chez la princesse prise au piège. Il rappelle ainsi la première
rencontre avec Sophie-Frédérique.
Une
fois mariée, Catherine sera traitée comme une moins que rien par
l'impératrice. Le portrait de cette dernière n'est pas flatteur.
C'est une femme d'une vulgarité sans nom, aussi éloignée que
possible des apparats du protocole, elle se plaira à humilier
Catherine en l'obligeant à servir la soupe aux laquais, en renvoyant
sa mère dans sa Prusse natale sans qu'elle puisse lui dire adieu et
en rouspétant de l'absence de petit-fils pour donner un héritier à
la couronne.
L'humiliation
suprême arrive quand Catherine comprend que le comte Alexei est
aussi l'amant de l'impératrice. Si Catherine devient cette
impératrice rouge que promet le titre, c'est dans sa vengeance. Elle
couche avec un capitaine de l'armée pour donner cet héritier tant
attendu et fera en sorte de se débarrasser de ce grand-duc dégénéré,
accomplissant son destin de bourreau dans un manteau blanc, passage
ironique et paradoxal d'un retour de virginité.
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