L'idéal
serait d'aller voir Les Garçons sauvages sans avoir vu la
moindre image, sans regarder la bande annonce, sans lire de critiques
et encore moins d'entretiens avec Bertrand Mandico, comme je l'ai
fait juste avant Noël, une découverte du film dans un état de
candeur virginale. Le titre apparaît, des lettres déchirées, dans
ce cadre aux coins arrondis, et la nuit, le noir et blanc, enveloppe
le corps d'un adolescent au bord d'une plage remplie de branches,
d'arbres morts, s'approchant de lui quelques marins qui commencent à
lui enlever ses vêtements.
Une
grande partie du film se déroule avant cette scène mystérieuse, il
faut rembobiner le récit et arriver aux cinq jeunes hommes en
costume cravate. Si comme moi, on débarque sans rien savoir, on
ignore que les cinq adolescents bien propres sur eux, de bonne
famille comme on dit dans les articles sur les faits divers, sont
joués par des actrices. La surprise était pour moi de taille, je ne
suis pas parvenu à reconnaître Vimala Pons en garçon avec ce
regard narquois et insolent d'un jeune mec qui dirige sa petite
troupe de sauvageons. Mais maintenant tout le monde sait que ce sont
des actrices.
Bertrand
Mandico balance du noir et blanc à la couleur dans quelques
séquences à la sexualité sauvage. La première est en début de
film autour d'une femme (Nathalie Richard) qui va se faire violer par
les garçons, elle finit sur le dos d'un cheval. La deuxième est une
orgie nocturne en bord de plage. On entend la chanson de Nina Hagen
« Naturträne ». L'image est bleue, des milliers de
plumes blanches volent autour d'eux. Ils se déshabillent,
s'embrassent férocement, se molestent, s'aiment violemment. C'est
pour moi le plus beau moment du film.
Entre
ces deux magnifiques séquences, les garçons sauvages sont bannis,
une punition qui fait suite au viol. Ils se croyaient à l'abri de
par leur condition sociale mais les parents choisissent de les
confier à un marin rugueux et barbu à l'accent étranger (Sam
Louwyck). Le capitaine de ce rafiot les traite comme des chiens,
collier au cou et corde attachée à un système de poulie. Chaque
fois que l'un d'eux n'agit pas selon ses règles, il tire la corde
qui les étrangle et les ramène brutalement juste devant la cabine
du capitaine. Et ils commencent à aimer ça.
L'artisanat
avec lequel le cinéaste figure son bateau, une barque au milieu de
l'océan, ne dissimule pas l'aspect carton-pâte des décors, il en
joue au contraire, comme des enfants jouent aux pirates. La bicoque
tangue, de l'eau asperge les adolescents, des effets naturels (pour
les opposer à spéciaux) qui embarquent Les Garçons sauvages
vers toute une flopée de références cinéphiles et
cinématographiques que Bertrand Mandico se fait un plaisir de nommer
dans ses différents entretiens. Pourtant, le film n'appartient qu'à
lui-même avec un univers propre.
La
destination de la traversée est une île (qui n'est pas sans évoquer
celle de Fièvre sur Anatahan entre autres) pourvue de plantes
particulières. Le grand mouvement du film s'amorce pour traiter le
genre sexuel, la transformation de ces adolescents en jeunes femmes.
La sensualité avec laquelle ils dévorent des fruits poilus, ils
boivent un liquide blanc sorti d'un orifice phallique, est exhaussée
par l'arrivée du docteur Séverine (Elina Löwensohn), parangon de
l’ambiguïté sexuelle, mi-homme mi-femme dans une posture à la
Marlene Dietrich.
Difficile
de ne pas sortir rassasié de ce film et, il faut bien le dire assez
fourbu. Les Garçons sauvages n'est pas sans quelques
longueurs et répétitions, notamment au milieu de son récit sur
l'île qui révèle les jeunes garçons à eux-mêmes. Il n'en
demeure pas moins que le geste cinématographique est sans aucune
mesure dans le cinéma d'aujourd'hui (presque) entièrement concentré
sur des tentatives de représenter la réalité telle qu'on l'imagine
alors que pour la faire exister, il suffit parfois de masturber la
machine à fantasmes de sa cinéphilie et d'en jouir.
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