Buffet
froid est le meilleur film de Bertrand Blier, l'histoire de trois
hommes dans une tour d'habitation, pour l'instant vide de ses
locataires. Enfin, histoire, il faut le dire, le film est une suite
de saynètes, presque un film à sketches, mais où tout coule
parfaitement dans un flux narratif qu'épouse une mise en scène
douce, des dialogues très écrits fleurant souvent le mot d'auteur
sans qu'il ne tombe dans le Michel Audiard dernière période.
Bertrand
Blier parle de personnages déraisonnables, pour ne pas évoquer le
surréalisme inspiré par Le Charme discret de la bourgeoisie
et Le Fantôme de la liberté de Luis Buñuel. Trois oiseaux
de nuit qui ne se connaissent pas en début de film, un tueur au
couteau Alphonse Tram (Gérard Depardieu), l'inspecteur Morvandiau
(Bernard Blier) et un assassin de femmes (Jean Carmet, aucun nom pour
son personnage).
La
nuit, un métro, station La Défense, personne à part Alphonse Tram
et un quidam, un anonyme (Michel Serrault) et un couteau qui sort de
la poche du manteau d'Alphonse, pour se planter quelques minutes plus
tard dans le ventre de cet anonyme. Il a une oreille d'expert
comptable, seul apparat de psychologie en ce début de film. Le tué
dit au tueur de vite quitter le métro et de rentrer chez lui sans
oublier de récupérer ce couteau.
Alphonse
ne quitte jamais son manteau, quand sa femme lui prépare à dîner,
il dîne avec son manteau. Il a peur d'avoir commis ce crime, elle se
contente de prendre le couteau et de le mettre dans le
lave-vaisselle. C'est de cet aspect déraisonnable dont parle
Bertrand Blier, elle ne prend pas peur, elle fait comme si tout cela
était normal, sans gravité. Le crime a été fait, il faut passer à
autre chose.
Cette
autre chose est une nouvelle qu'elle annonce à Alphonse : ils
ont un nouveau voisin qu'Alphonse s'empresse d'aller accueillir.
Morvandiau ne dit pas un mot, offre un verre de vin rouge (la seule
boisson que tous les personnages boiront pendant tout le film), il
vient d'emménager, pas encore eu le temps de défaire les cartons.
Blier fils s'amuse ainsi avec Bier père, lui qui sort d'habitude de
délicieuses répliques à le rendre muet.
Cela
ne dure qu'un temps, le trio n'est complet qu'avec l'arrivée de Jean
Carmet. Il vient s'excuser d'avoir tué la femme d'Alphone et quand
Morvadiau arrive avec sa bouteille de vin rouge, Alphonse déclare
« je vous présente l'assassin de ma femme ». Enchanté,
répond l'inspecteur. C'est ce naturel qui fait le génie de Buffet
froid, l'invention d'une alternative réaliste aux habituels
poncifs psychologique du film noir français.
Le
trio devient inséparable, un pastiche de pieds nickelés
inconscients de vivre dans un cauchemar, c'est sans doute pour cela
que le film se déroule de nuit (à l’exception de la dernière
partie), dans cette cité vide de ses habitants, dans cette tour
d'immeuble, dans la banlieue pavillonnaire ou dans un terrain vague.
Le cauchemar continue quand ils partent à la montagne, dans un
chalet humide où ils se réfugient pour se mettre au vert.
Dans
l'appartement d'Alphonse les visites se suivent et les morts se
succèdent. Léonard (Jean Rougerie) demande à ce que l'on tue un
homme, Geneviève (Geneviève Page) sa veuve est prête à suivre le
trio, un médecin (Bernard Crommbey) vient soigner la veuve avant de
coucher avec elle. Enfin un détour dans un hôtel particulier,
unique moment avec de la musique, du Brahms, une thérapie préparée
par l'hôtesse (Denise Gence).
Mon
film préféré de Bertrand Blier finit ainsi à la campagne avec
encore une fois des visites au hasard. Comment Jean Benguigui puis
Carole Bouquet venus tuer Alphonse Tram font pour les retrouver, peu
importe, le film poursuit sa ligne sinueuse à l'image de des pavés
de la banlieue, des colimaçons, du lit de la rivière, partout le
danger de tuer et de mourir. C'est drôle, c'est beau, c'est
génialement incarné.
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