Fièvre
sur Anatahan, le
dernier film de Josef von Sternberg (Jet
Pilot produit avant est
sorti après celui-ci), est entièrement tourné au Japon où le
cinéaste s’était installé en exil culturel. C’est un Japon de
carton-pâte une habitude chez le cinéaste qui aime créer la
réalité, où l’îlot d’Anatahan est reconstitué en studio, de
loin on voit son sommet peint, comme cela se faisait à l’époque.
Le décor consiste à reproduire une sorte de savane luxuriante où
les lianes et les plantes poussent en abondance.
L’île
minuscule et montagneuse entre le Japon et la Nouvelle-Guinée
recueille une douzaine de soldats japonais à la dérive qui se sont
réfugiés là en juin 1944. Personne n’habite là, pensent-ils,
mais au bout de quelques jours d’exploration, ils rencontrent un
homme. Ce dernier, Kusakabe (Tadashi Suganuma) vit avec Kieko (Akemi
Negishi). Chacun a été marié, leur famille est retournée au
Japon, fuyant les ravages de la guerre et la solitude inhérente à
la vie sur Anatahan. Ils paraissent mariés, elle est plus jeune que
lui. Il la protège avec excès, refusant qu’elle s’adresse aux
intrus. Pour les soldats, voir une femme, surtout si jeune, est une
chose très réjouissante.
Les
soldats sont jeunes et vigoureux mais dirigés d’une main de maître
par leur supérieur qui décide de rester sur le qui-vive, de
poursuivre la surveillance de l’île pour veiller à ce que
l’ennemi militaire ne vienne pas attaquer. Chaque soldat exécute
un tour de garde, va observer l’océan au sommet de l’île où
une mitraillette a été ramenée pour se défendre. Plus tard, un
avion échoué permettra de faire de la toile d’un parachute de
nouveaux vêtements (société en progrès) alors que la découverte
de deux pistolets fera changer de chef (société en régression).
Comme
dans la plupart de ses films, la femme fatale est au centre du récit
de Fièvre
sur Anatahan. Cette
fièvre, c’est elle qui la provoque dans le cœur des soldats.
Jusqu’à présent, son seul loisir était de ramasser des
coquillages, puis elle accepte de devenir le centre de l’attention
des hommes, de se laisser séduire. C’est le plus jeune qui s’y
colle, vite délogé et frappé par Kusakabe. Kieko recevra quelques
coups pour sa témérité. Et les années passent, les haillons
remplacent les uniformes militaires.
Les
corps sont de plus en plus nus, les hommes (à l’exception du chef)
vivent torse nu. L’alcool fabriqué à partir de palme leur mettra
un peu de baume au cœur, mais déchaînera leur passion. Le désir
se fait de plus en plus grand, Kieko – la reine des abeilles comme
le dit le générique – se laisse de plus en plus tenter. Les
années passent et le chef ne baisse pas la garde, refusant d’écouter
le haut-parleur d’un croiseur qui affirme que la guerre est
achevée. Il veut continuer de défendre l’île. Cela durera six
ans.
Fièvre
sur Anatahan est à la
fois naïf et cruel. La naïveté n’est jamais éloignée avec
cette voix off constante qui commente la société japonaise à
grands coups de phrases péremptoires. « Les soldats doivent
obéissance à leur chef », « les femmes sont soumises à
leur mari », comme si le cinéaste désirait décrire une
civilisation différente qui, isolée, se créerait une utopie autour
de la femme. Aucun des dialogues que les interprètes japonais dans
leur langue natale n’expriment ne sont traduits ou sous-titrés.
La
voix off, à la première personne, narre ce qu’ils font, leur
action dans une évidente et parfois agaçante redondance. Le film
prend parfois des aspects anthropologiques basiques. Le film
s’adresse clairement aux Américains qui, ironiquement, ne verront
jamais ce film resté dans les armoires pendant des années. Le film
est aussi cruel avec le sort réservé à l’unique femme de l’île
qui passe du statut de reine des abeilles à celui d’objet que les
hommes s’échangent sans son consentement. Le constat la nature
humaine est d’une grande tristesse. Il convient qu’aucune société
ne peut échapper à ses plus bas instincts : le pouvoir sur
l’autre, la domination et la haine.
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