Je
parle rarement de la revue Positif mais je recommande toujours la
lecture du long texte sur Othello dans le numéro double
449/450 de l'été 1998. Jean-Pierre Berthomé relate la longue
fabrication et tournage du film d'Orson Welles. Cela s'étalait sur 3
années sur deux continents, entre le Maroc et l'Italie avant que
Othello ne décroche en 1952 la Palme d'or à Cannes. L'histoire est
chaotique, bouillonnante, complètement dingue quand on songe à
l'énergie déployée par Orson Welles pour mener à bout son projet.
Il n'avait pas sorti de film depuis 4 ans, une éternité et a fait
l'acteur pour financer son film.
Avant
le court générique de début qui consiste en deux cartons, le titre
du film « The Tragedy of Othello, the moor of Venice »
sans la mention de Shakespeare et une indication qui plante le décor
et la situation, le film commence avec un long prologue qui lance le
flash-back. Dès le début, on sait que Othello (Orson Welles) et
Desdémonde sont morts (Suzanne Cloutier), chacun sur un gisant que
des hommes portent à bout de bras. La solennité ne sera jamais
dérangée par aucun dialogue mais une musique lugubre se fait
entendre dans un noir et blanc contrasté par les angles droits dans
un montage toujours très rapide.
Toujours
dans ce prologue qui conclut en avance la tragédie, Iago (Micheál
MacLiammóir) est mené dans un cage suspendue, sans doute en
attendant sa pendaison ou son procès. Iago est le coupable de la
mort des deux époux vénitiens. Il le sait et la foule court à sa
perte. Le regard affolé du traître qui a semé la suspicion dans le
cœur et l'âme de son maître Othello, ces fameux « monstre
aux yeux verts », la jalousie qu'il crée en faisant croire à
Othello que Desdémonde le trompe. Cela est tout le complot du film,
depuis cette première scène sur les canaux de Venise où les deux
amoureux roucoulent sur une gondole.
Le
film passe des canaux en plein jour, un moment extrêmement
romantique diurne, léger, jovial aux intérieurs sombres, de plus en
plus sombres d'ailleurs jusqu'à ce visage totalement englouti par la
nuit, donc la mort, d'Othello. Jamais Orson Welles n'a été aussi
beau que dans ce film, jouant les amoureux romantiques avec la fille
d'un édile de Venise. C'est là que Iago, un laideron, fou de
jalousie, fou de pouvoir, décide de son plan pour faire chuter
Othello. Cette double image de l'homme, le beau et le laid qui
s'affronte, c'est ce qui touche le plus dans le film, puis comment
Othello transforme son visage, l'emplit de colère et de haine.
Des
trois films d'après William Shakespeare, après Macbeth –
œuvre désespérément bancale – et Falstaff – comédie
débridée mais sinistre – Othello est le plus beau et cette
beauté est due à l'inventivité pour se dépêtrer des embûches de
ce tournage. Manque d'argent, manque de costumes, manque de temps,
Berthomé raconte qu'un champ a été tourné au Maroc et que son
contre-champ en Italie un an plus tard. Pourtant on ne devine pas un
instant cela, le rythme est délirant, le nombre de plan
exceptionnellement élevé. Tout coule dans cette tragédie avec ces
cadres contradictoires, ces plafonds visibles, ces faux raccords
délirants et surtout les ombres, c'est d'une incroyable beauté.
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