D'abord
quelques chiffres. 2004, premier film La Gueule que tu mérites,
1h43. 2008, deuxième film, Ce cher mois d'août, 2h25. 2012,
troisième film, Tabou, 2h02. 2015, quatrième film sous forme
de trilogie, Les Mille et une nuits, 6h22. Après le succès
surprise de Tabou, Shellac s'est lancé dans le pari un peu
fou fou de sortir sur 3 mois les trois volets des Mille et une
nuits. Après tout, l'an dernier Winter sleep, Palme de
d'or Cannes 2014, est sorti début août et les 3h15 du film ont
attiré 400000 spectateurs. Cet été, la recette n'a pas pris malgré
une presse plus qu'élogieuse depuis son passage à Cannes 2015. Le
cinéma social a la côte en ce moment même si le public semble
vouloir plus se passionner pour un chômeur en crise de La Loi du
marché que pour le crise économique au Portugal.
Le
cinéma social, c'est facile. On peut un peu faire bouger l'image,
cadrer les personnages en tenant la caméra à l'épaule, on éclaire
pas trop les décors naturels pour avoir une photographie qui fait
vrai. Le réalisme, c'est facile. On doit jouer vrai, on doit faire
le plein. Le plein d'émotions, le plein d'histoires vécues, le
plein de dialogues signifiants, le plein de scénario. De Polisse
avec ses stars qui jouent les flics ou les mis en examen avec la même
fougue à La Loi du marché avec son chômeur qui donne des
leçons à tous ceux qu'il rencontre en passant par La Vie d'Adèle
avec ses 10 ans de vie passionnée, chacun de ces films déborde de
son trop plein de tout, jusqu'à l’écœurement. Mais surtout, pour
parvenir à faire tenir ses personnages, le sentiment du super-vrai
est privilégié aux dépends du vraisemblable.
Pour
Miguel Gomes, il faut bien plus que 5 minutes pour concevoir un
personnage, pour qu'il existe aux yeux du spectateur. Sinon, le personnage reste un cliché, une caricature, un archétype. Les habituels
dialogues des fameuses scènes d'introduction chères aux partisans
de la grammaire académique du cinéma n'existent pas dans le cinéma
de Gomes. Les Mille et une nuits dans sa forme de compilation
de courts-métrages présentent une bonne douzaine de personnages en
ne montrant que leur moments de creux, et non pas de plein. Les
préparatifs d'une plongée dans l'océan dans les volume 1, la vie
d'un gentil toutou du volume 2, des concours de chants de pinson dans
le volume 3 sont des exemples de micro-récit qui forment un puzzle.
C'est dans Ce cher mois d'août que le cinéaste va au bout de
son système en tournant autour de ses personnages, en le cernant
littéralement pour que le spectateur puisse vraiment les connaître,
comme s'il pénétrait dans leur intimité. Comme Jacques Rivette,
Gomes filme ce que personne ne filme d'habitude.
L'un
des écueils sur le cinéma de Miguel Gomes est de le voir comme du
documentaire, précisément à cause de cette fausse impression de
réalisme. Gomes et au contraire un amateur de contes. La Gueule
que tu mérites évoque et pastiche Blanche Neige et les sept
nains de manière énigmatique, d'abord avec un spectacle d'enfants
puis avec le suivi du quotidien de sept hommes dans une maison au
milieu d'une forêt. La force du film est de proposer un quotidien à
la fois banal et mystérieux. Conteur, Gomes l'est aussi dans Tabou
avec ce pastiche de cinéma muet (largement supérieur à
Blancanieves ou à The Artist) où une voix off narre à
l'ancienne le récit. Gomes récuse l'idée du documentaire en
abattant le quatrième mur, en intervenant dans le film en tant que
cinéaste. Cela consiste à toute la première partie de Ce cher
mois d'août et du volume 1 des Mille et une nuits.
Pour
parodier un peu cyniquement Miguel Gomes, regarder ses films, ça se
mérite. L'impression de flottement est parfois plus forte que la
précision de la narration, l'approximation du jeu de certains
acteurs (la propriétaire du coq qui ne cesse de chanter ou le bandit
populaire ne sont pas très bons et gâchent les scènes). On sourit
souvent, notamment dans cet interminable procès où les accusations
rebondissent, dans ces réunion des économistes en érection. Comme
dans ses autres films, Miguel Gomes joue sur les ruptures de ton, sur
les anachronismes, sur les décalages narratifs. Comme dans ses
autres films, ce qui est réussi est très réussi, ce qui est raté
est terriblement ennuyeux.
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