D'avion
en avion, d'hôtel en hôtel, de récital en récital, le rituel de
Claire Girard (Marina Foïs) est toujours le même. C'est son mari
Fred (Jonathan Cohen) qui s'approche avec les valises vers la
réception, s'adresse à l'employé et dit, dans la langue du pays où
ils se rendent, qu'il est Claire Girard. Souvent dans une ville (à
New-York par exemple), le réceptionniste pense qu'il est Claire
cette pianiste soliste renommée et propose une option « call
girl ». Il doit alors confesser qu'il n'est pas Claire mais
Fred « I'm Fred don't be afraid » (calembour).
Elle
est toujours derrière lui, il avoue qu'il est à la fois son mari,
son impresario et son homme à tout faire. Il ne veut pas qu'elle se
fatigue, ça fait un drôle d'effet de les voir tous les deux
arriver, lui comme une fusée dans les hôtels ou les salles de
spectacles, elle en douceur. Puis elle se repose dans la chambre,
derrière on voit la tout de Pise, l'Empire State Building. Il sait
choisir les meilleurs endroits pour qu'elle se sente une star. Et
soudain, il propose de la relaxer, elle s'allonge sur le lit, il met
sa tête entre ses jambes et lui fait un cunnilingus.
Voilà
dans ces premières minutes de Enorme le ton que donne Sophie
Letourneur à son nouveau film. Ce ton est celui de la pure
trivialité, elle fait ça depuis 15 ans, depuis ses courts-métrages
comme le formidable La Tête dans le vide. La cinéaste s'est
calmé sur le flot de paroles des ses personnages. Ici Marina Foïs,
qu'on connaît pourtant très volubile, ne joue qu'avec son visage et
son corps, elle devient une actrice très physique. C'est Jonathan
Cohen qui parle pour deux puisqu'il est à la fois Fred et Claire
Girard quand il s'adresse aux autres.
Le
film se déploie sur cet espèce d'hyperréalisme proche de celui de
Luis Buñuel comme d'Eric Rohmer, des situations banales où la
parole rythme les situations. Ce sont des longues scènes de
discussions, surtout en champ contre-champ, qui font exister l'action
que vivent les personnages. Mais entourée, lui seul parle pour deux.
Certes Claire est une star du piano (la réception dans l'ambassade
est géniale pour ses répliques strictement phatiques, totalement
dénuées de sens) mais sans fans réels (un seul jeune homme vient
demander un autographe).
Cette
existence pour l'art est la création de démiurge de Fred. On est
dans une comédie (avec somme toute très peu de personnages
secondaires pour faire rebondir le scénario, la mère de Fred, la
prof de piano de Claire) mais tout cela pourrait être un drame
français sur l'abus de pouvoir d'une homme pour sa femme. C'est
probablement cela qui est le plus étonnant dans Enorme, on a
quand même du mal à trouver que Fred est un salaud, filmé par
Maïwenn ou Xavier Legrand, cet homme serait un pervers narcissique
et traité sur un ton dramatique.
Car
ce que va faire Fred, faire tomber enceinte Claire sans qu'elle ne le
sache, est un abus de pouvoir. Lui ne semble pas s'en rendre compte,
il faudra que cela lui soit expliqué clairement. On sourit moins
dans la deuxième partie du film, le réalisme se fait plus précis
dans les allers retours dans les services de gynécologie. Le but du
jeu est qu'enfin Claire redevienne la vraie Claire et que Fred ne
soit plus double. Alors ça passe par le documentaire, la vision
clinique de la naissance attendue par Claire qui n'en peut plus
d'être énorme.
Le
film lance une intrigue croisée secondaire assez mal exploitée,
celle d'un concert, une œuvre de Ravel avec orchestre où le piano
solo serait pour la première fois joué par une femme. Fred engage
Claire dans ce défi presque sans son accord. La date du concert aura
lieu le 29 février, l'accouchement le 27 février. Sophie Letourneur
a bien de la peine a créer un suspense valable dans la tenue de ses
deux dates. Elle se cantonne sur l'accroissement de la démence de
Fred mais le film est tellement différent qu'il vaut le coup d'oeil.
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