Le palindrome « sator » est composé de cinq mots de cinq
lettres (SATOR AREPO TENET OPERA RATOS) où Tenet se lit de bas en
haut, de haut en bas, de droite à gauche et de gauche à droite.
Sator est le personnage d'oligarque russe que joue Kenneth
Barnagh sans aucune retenue, Arepo le nom d'un personnage qui
n’apparaîtra jamais dans le film, Tenet est le mot MacGuffin du
film, un mot un peu fourre-tout qui explique – très laborieusement
– l'inversion en œuvre dans le récit et Rotas le nom d'une
compagnie de surveillance.
Quant
à l'opéra, c'est le lieu de la première séquence. L'orchestre
ajuste ses instruments, stridences et couacs des notes, sans avoir le
temps de se lancer dans le début de la représentation quand le chef
d'orchestre est abattu par des hommes armés. La musique de Goran
Löwansson se met en branle, une musique aussi tonitruante que celle
d'Hans Zimmer mais plus solide. Ce qui s'ouvre devant mes yeux est du
cinéma d'action de grande qualité, c'est-à-dire à la fois précis
(les gestes sont au centre de l'image) et épuisant (ça n'arrête
jamais).
L'immersion
totale dans Dunkirk passait par le son omniprésent. Dans
Tenet, Christopher Nolan choisit l'hypnose. Dans cet opéra
tous les spectateurs sont anesthésiés par un gaz utilisé par les
« terroristes ». Ils s'évanouissent dans une effet
domino. Le spectateur du film doit subir la même illusion, il doit
se laisser porter par ce récit où il ne faut surtout pas prendre
garde aux incohérences, au retournements de situations et aux
longues explications données par Susan (Dimple Kapadia), équivalent
de l'Oracle dans Matrix des Wachowski.
La
réalité est donnée uniquement au personnage de John David
Washington, magnifique de bout en bout, à la fois spectateur de ce
qui lui arrive (il n'en sait pas plus que le public dans la salle,
lui aussi est pris par l'hypnose du scénario) et acteur principal
des longues et jouissives scènes d'action, toutes plus amusantes et
inventives les unes que les autres. Ce sont ces séquences d'action
qui rythment le film, comme les chansons dans une comédie musicale.
Il n'y a que cela à regarder, que cela qui soit de qualité, que
cela qui fait que l'on tient ces 2h30 de Tenet.
L'ennemi
du protagoniste (car on ne saura jamais son nom) est Sator, la femme
à sauver est Kat (Elizabeth Debicki) des griffes de ce Sator, son
mari qui, contrairement au protagoniste, sait toujours tout en
avance. Le voilà le scénariste omnipotent du film. Avec chaque fois
un coup d'avance, il crée les pièges temporels au centre de la longue aventure qui va de Bombay
à Pompei, d'Oslo en Ukraine, ça ne s'arrête jamais et ce présent
est redondant, dans une impossible forme de palindrome visuel (Raoul Ruiz en a tourné un en 1980, Un couple).
Le
partenaire du protagoniste est Neil (Robert Pattinson), agent secret
britannique qui vient à la rescousse de l'agent secret américain.
Chacune des arrivées de Neil se produit comme par magie. Le
protagoniste a besoin de son aide après avoir durement bataillé
dans une séquence d'action, le voilà qui cause en marchant à ses
côtés. C'est presque à se demander si Neil existe vraiment, s'il
n'est pas tout simplement le fruit de son imagination, ce qui
pourrait tout à fait être le cas dans la partition de son
personnage de spectateur sujet à l'hypnose générale du public.
Paradoxalement,
le film est assez faible en séquences marquantes, en scènes
d'anthologie que les spectateurs du film peuvent se raconter. Il est
relativement fade dans l'aspect visuel, tout est un peu sur la même
tonalité, un gris parsemé de boue pas très engageant. C'est
peut-être finalement pas si mal de passer de cinéaste culte (je me
rappelle le délire des fans lors de la sortie d'Inception) à
réalisateur d'un film où le spectacle est total, bine que
régulièrement poussif. Il faudrait que pour son prochain film, il
devienne un peu moins coincé dans les rets de son récit.
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