Une
chauve-souris, des rates, une araignée. La cellule de la prison où
Susana (Rosita Quintana) est jetée n'est pas accueillante.
Qu'a-telle bien pu faire pour se retrouver là ? On ne le saura
pas mais les gardiennes de la maison de redressement la mènent sans
gentillesse, la jeune femme se débat, elle est traînée et enfermée
à double tour. Susana prie dieu et secoue les barreaux de la
fenêtre, ils cèdent, elle s'échappe sous une pluie battante.
Trempée
comme une soupe dans cette nuit d'orage, elle trouve refuge chez de
riches propriétaires terriens. L'hacienda est vaste et les employés
nombreux. Cette fois, les animaux ne sont pas répugnants, ce sont
des oies et dindons que Luis Buñuel filme se promenant dans la cour
quand ils sortent chaque matin, une manière de donner le nombre de
jours de l'action du film, mais aussi des poules, des moutons et une
jument qui met bat se jour-là.
Trois
femmes et trois hommes sont au centre du récit de Susana la
perverse. Susana est fort bien accueillie par Dona Carmen
(Matilde Palou) qui se prend de pitié pour la jeune femme qui ne dit
pas qu'elle s'est échappée de prison, elle lui offre le couvert et
le gîte. En revanche, la vieille bonne Feliza (Maria Gentil Arcos),
petite bonne femme superstitieuse (elle voit dans l'orage la part du
diable) et bigote déteste dès le premier regard l'intruse.
Feliza
met son grain de sel de partout. Comme elle n'a pas sa langue dans sa
poche, elle fait vite des remarques sur Susana, voit en elle une
catin, une moins que rien. Mais la bonne se fait rabrouer par la
patronne. La vieille domestique est un personnage à double
tranchant, mal fagotée, antipathique, elle fait de chaque chose une
question morale. On a très envie de la détester parce qu'elle juge
sans appel les autres, mais on sait aussi qu'elle est la seule à
voir clair dans le jeu de Susana.
Les
hommes de l'hacienda admire sans ambages la plastique de la nouvelle
venue. Les simples employés entre lesquels elle passe pour se rendre
au poulailler s'approche d'elle pour la caresser, pour lui tâter les
fesses et tenter de l'embrasser. Ce sera le contremaître le premier,
Jesus (Victor Manuel Mendoza), un type immense muni d'un fouet et
portant un pistolet, qui tombe amoureux d'elle et demande aux
employés de garder leurs mains pour eux.
Pour
ne pas tenter les obsédés – ces simples employés sans éducation,
il faut rappeler la catholicisme présent dans le sous-texte du film,
donc des hommes qui ne répondent qu'à leur instinct comme les
animaux – la tenue de Susana doit être plus correcte. Elle doit
moins montrer ses formes, sa poitrine en tour premier lieu (Feliza
aux seins avachis mal cachés par son gros gilet est la première à
l'exiger), ses épaules et ses jambes.
Dès
que les femmes ne regardent pas, elle dénude ses épaules et va voir
les hommes. Elle se refuse à Jesus, comprenant bien que le fils du
patron, Alberto (Luis Lopez Somosa) est attiré. Étudiant, il ne
participe pas aux travaux de la ferme. Il lit. Il range ses nombreux
livres. C'est dans sa bibliothèque que Susana échange son premier
baiser avec le jeune homme. Alberto et Jesus sont jaloux l'un de
l'autre sans pourtant réellement savoir si chacun a embrassé la
belle.
Tout
comme les barreaux de la fenêtre de la cellule cèdent très vite
dans les mains de Susana, la cellule familiale s'effondre. Car c'est
ensuite le patron de l'hacienda qui succombe aux charmes de Susana.
Don Guadalupe (Fernando Soler). Il renvoie Jesus qu'il a surpris en
train d'embrasser Susana. Elle se débattait dans les bras du
contremaître, le patron pensait qu'il la violait. Mais Jesus a
appris qu'elle s'est échappée de prison et entend bien la faire
chanter pour avoir ses faveurs.
Susana
est le prénom dont le symbole est la chasteté dira Alberto à
Susana. Elle fait semblant de trouver ça charmant, de penser que le
jeune homme puisse s'imaginer qu'elle est chaste. L'actrice joue de
ses regards, elle paraît innocente quand les hommes la regardent,
puis quand ils l'étreignent, Luis Buñuel filme ses yeux pleins de
défis et son sourire en coin. Elle est experte dans l'art de la
manipulation, elle fait tout pour arriver à ses fins.
Elle
fait tourner tout ce petit monde en bourrique. Il n'est pas certain
qu'elle puisse tirer son épingle du jeu. Car finalement, Susana
dirige les hommes presque contre elle. Elle n'arrive jamais à tirer
aucun profit de ses conquêtes. Le récit prend souvent des allures
de télé novela tant les situations sont caricaturales. Luis
Buñuel veut montrer l'étendue de l'hypocrisie des ces bourgeois
mexicains dans tout leur minuscule splendeur.
Pour
cela, il a recourt à un artifice singulier : la jument Lozana
qui est l'unique préoccupation des hommes. Donnée comme mourante
dès le début du film, elle revient à la vie dans une guérison
inespérée. Toute la famille se réconcilie quand Susana est
finalement arrêtée par la police dans un dernier plan où tout le
monde sourit, heureux d'avoir chasser la perversité de leur domaine,
des sourires de la bourgeoisie triomphante ravie que l'ordre social
soit rétabli.
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