Par
une après-midi ensoleillée, Charity (Shirley MacLaine) file tout
sourire, en sautillant, en virevoltant vers son rendez-vous amoureux
pour une promenade à Central Park. Le fiancé, Charlie (Dante Di
Paolo), un type au regard ténébreux. Totalement soumise, Charity
s'est fait tatouer sur l'épaule un cœur avec en son centre le
prénom de cet homme qui s'avère un vrai salaud. Sur un petit pont
du parc, il la pousse dans l'eau pour lui voler son sac à main et
l'argent contenu dedans. Elle manque de se noyer et part persuadée
que son Charlie va revenir.
Le
soir, elle a du mal à raconter ses mésaventures à ses amies et
collègues. Charity travaille dans un cabaret, un métier fort peu
noble, taxi girl comme on disait jadis, un fille qui pousse le client
à consommer, à acheter des verres hors de prix pour la beauté de
ses yeux. On se doute bien que Charity a sans doute rencontré ce
Charlie dans ce lieu et qu'elle espérait qu'il la sorte de là, mais
désormais sans argent, elle doit continuer de se vendre aux clients.
Elle n'ose pas dire à Helene (Paula Kelly) et Nickie (Chita Rivera)
qu'elle s'est fait larguer.
La
travail est minutieusement décrit dans la première séquence et
dansée de Sweet Charity. Les femmes sont toutes scrutées par
la caméra de Bob Fosse dans ses allers et retours de la caméra,
elles sont derrière une barre, finalement allégorie de la prison
dans laquelle elles sont enfermées (un symbole qui reviendra à
plusieurs reprises ce sentiment d'enfermement). Elles prennent des
poses dans des gestuelles et mouvements saccadés totalement
empruntées aux danses afro-américaines et latinos, c'est dire si
Bob Fosse était en avance sur son temps.
Dans
la plus belle séquence chorégraphiée, celle au Pompéi Club, Bob
Fosse va encore plus loin. Dans un mouvement en trois actes, il mêle
la musique chaloupée très inspirée par les boucles sonores de
Henri Mancini. Le tempo s’accélère au fil des trois parties, les
danseurs et les danseuses misent des combats de boxe, la lutte des
sexes, dans des belles robes de soirée et de somptueux costumes.
Cette chorégraphie a inspiré Beyoncé qui a repris cette danse dans
son clip pour la chanson Get Me Bodied en 2006, c'est dire
l'influence de Bob Fosse.
Lors
de cette soirée au Pompéi Club, Charity a croisé une vedette de
cinéma, un certain Vittorio Vitale (Ricardo Montalban), caricature
plus vraie que nature du dandy italien. Dès le lendemain, elle
revient avec un autographe qu'elle met dans son casier. Ses deux
meilleures amies mais également colocataires, Helene et Nickie ont
bien conscience que Charity est naïve sur les hommes. Sur la
terrasse du cabaret, elles entament une danse à trois où les deux
collègues tentent de lui ouvrir les yeux. Charity reste
désespérément romantique, un jour son prince viendra.
Pour
l'instant, elle veut changer de vie. L'humour dans Sweet Charity
est toujours un peu cruel comme dans cet entretien dans une agence
pour l'emploi où la jeune femme se rend compte devant les questions
qu'elle ne sait rien faire. En tout cas, rien de ce que les
Etats-Unis de l'époque peuvent proposer à une femme, un métier
sous les ordres d'un homme. Il faut y dire un petit coup de pied au
cul des comédies musicales où la femme n'est que l'objet de
l'homme, par exemple My fair lady, en ce sens Sweet Charity
est l'anti My fair lady, mais Charity a du chemin à faire.
C'est
en ce sens que la scène finale se comprend. Alors qu'on s'attend à
un happy end, avec des retrouvailles romantiques, Charity comprend
surtout qu'elle peut être libre et entière sans homme. La fin n'est
pas heureuse mais optimiste. Car cet homme rencontré dans un
ascenseur qui tombe en panne (cette idée de l'enfermement évoquée
plus haut) avec lequel elle se retrouve plus tard coincée dans un
pneu lors de la chanson hippie de Sammy Davis Jr. (un excellent
moment) et qui se dit adieu derrière les grilles du métro aurait pu
être l'homme idéal.
Il
s'appelle Oscar (John McMartin), un grand blond un peu timide. Il est
amusant de voir que les femmes dans les comédies musicales
s'entichent parfois de gentils bêtas, je pense aux Hommes
préfèrent les blondes. Charity vérifie bien que cet Oscar ne
va pas lui voler son sac à main et son argent. Charity payait tout à
son Charlie, mais là Oscar a un porte-monnaie. Alors sans doute
c'est l'homme idéal, attentionné, délicat et gentil. Pour
l'instant, Charity préfère ne pas raconter son passé, elle est une
nouvelle femme. Elle brode sur sa vie et se contente de suivre encore
une fois le même modèle, elle reste dépendante de la volonté des
hommes.
L'énergie
incroyable de Shirley MacLaine est l'atout majeur, petite boule de
feu avec ses cheveux roux, mais tout repose sur les chansons et les
chorégraphies très physiques. Bob Fosse soigne ces moments et les
porte à un niveau supérieur avec un génie particulier pour les
couleurs vives (la « parade » en rouge devant Wall Street
et la fontaine du Lincoln Center vides avec une actrice exaltant son
bonheur), bien-sûr c'est un peu trop long à mon goût (2h30) mais
par bonheur les danses et les chansons sont variées et d'une
incroyable modernité.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire