Entre
deux pages tournées nonchalamment d'un roman de Barbara Cartland, sa
lecture préférée, Tatie Danielle (Tsilla Chaleton) jette un œil
autour d'elle et balance en messe-basse une belle horreur :
morue, elle pue, qu'est-ce qu'elle est laide, voleuse, mais surtout,
elle s'adresse à son défunt mari, « mon Edouard » dont
la photo est accrochée au mur, un type au fort strabisme qui lui
donne l'impression d'avoir un œil qui dit merde à l'autre.
Tatie
Danielle aime se plaindre à son Edouard, ça doit bien faire 40 ans
qu'elle lui parle avec ce petit air plaintif de la vieille dame
outrée de tout ce qu'on lui fait subir à elle une pauvre veuve. En
tout premier lieu, Danielle est mécontente d'Odile (Neige Dolsky),
cette femme qu'elle a recueillie, une vraie paresseuse qui ne veut
pas faire le lustre, qui veut pas promener le chien Garde-à-vous, un
molosse qui doit faire son poids mais qui veut une procuration.
Bien
sûr dans ces quelques scènes de présentation du monstre, tout ce
joue sur les répliques contradictoires et sur ce sourire que prend
Tatie Danielle quand elle commet un mauvais acte, comme lorsqu'elle
feint de n'avoir pas vu qu'elle piétine les pensées qu'Odile vient
de planter, ou quand le facteur arrive et qu'elle lâche le chien
pour aboyer. C'est ce plaisir qu'on va prendre pendant tout le film
de voir des gens si obséquieux être martyrisés.
Ainsi
quand les neveux, comme dit Odile, petits-neveux comme précise
Danielle viennent rendre visite à leur tatie, elle leur souffle tout
le contraire que ce que nous venons de voir à l'image, la
procuration, les paupiettes, la paresse. Les neveux gobent tout. Ils
viennent fleurir la tombe des parents, Danielle prétend que ça lui
fait tellement plaisir de les voir, elle jurait l'inverse la veille à
sa gouvernante Odile qui, elle, se réjouissait de la visite
annuelle.
Le
grand dadais au ventre rebondi, aux lunettes qui témoignent sa
gentillesse s'appelle Jean-Pierre (Eric Prat), je ne sais si Etienne
Chatiliez et Florence Quentin ont choisi ce prénom par rapport au
Jean-Pierre de Ma sorcière bien aimée, mais il fleure bon le benêt.
Sa femme s'appelle Catherine (Catherine Jacob, absolument géniale)
et ils ont deux enfants, Jean-Marie (Mathieu Foulon) que la Tatie
feint de prendre pour une fille et le plus petit Jean-Christophe
(Gary Ledoux).
La
grande habileté de Danielle est de repérer immédiatement ce qui
peut nuire au personnage, elle sait bien que le jeune Jean-Marie
n'est pas une fille mais Tatie décèle chez l'adolescent qu'il est
« une tante », comme elle aurait pu dire. Elle appuie
chaque fois sur cette petite chose. D'une certaine manière, Tatie
Danielle n'est pas un simple personnage, elle met en scène les
supplices des ses futures victimes pour le plus grand délice du
spectateur. Comme elle va désormais habiter avec ses neveux, on se
réjouit d'avance.
Car
il faut bien le dire, pour pasticher l'expression d'Alfred Hitchcock
plus un personnage gentil est torturé par un méchant plus un film
est réussi. Le gentillesse de Jean-Pierre et Catherine est écœurante
aux couleurs pastel du salon de beauté de cette dernière avec cette
Agathe (Karin Viard) dégoulinante de sourire. Et le gamin joufflu,
ce Totoffe avec son cocker qui pue, qui fait un dessin à « sa
Tatie », qui veut jouer avec elle, se promener avec elle. Tatie
Danielle fera semblant de la perdre avec la méthode Petit Poucet
(elle sème des bonbons).
« Je
crois qu'elle est méchante » confesse Jeanne (Laurence
Février) à sa belle-sœur. Jeanne doit garder Tatie pendant les
vacances en Grèce de Catherine et Jean-Pierre. Tatie Danielle a le
génie pour humilier devant les autres. La plus grande humiliation
est lors d'un repas avec le patron de Jean-Pierre. Danielle arrive en
chemise de nuit, demande « un petit quelque chose à manger »
comme si on l'affamait, se met devant la télé et zappe puis repart
en montrant qu'elle a pissé sous elle dans l'embarras général.
Ce
ne sera pas Jeanne qui va garder Danielle mais Sandrine (Isabelle
Nanty, découverte dans ce film avec son visage fermé, son
expression butée). « Je vais la mater » dit Tatie. Mais
les manigances (faire comme si elle pisse au lit) ne marchent pas.
Elle a trouvé en Sandrine son alter-ego. Miraculeusement, le film ne
s'écroule pas, au contraire, il prend un autre tournant plus
cynique, plus sarcastique. Mais la méchanceté reprend vite le
dessus quand Sandrine comprend qu'elle n'arrivera pas à se faire
respecter.
Si
ces deux femmes se ressemblent, c'est moins parce qu'elles sont
acaraiâtres toutes les deux (c'est l'idée de la chanson de
Catherine Ringer « La Complainte d'une vieille salope »),
mais parce qu'elles mettent en scène. Sandrine est photographe à
ses heures perdues et Danielle s'invente cette image de grand-mère
modèle quand elle est abandonnée dans l'appartement. Les médias
vont adorer ce faits divers d'une vieille dame laissée seule en
plein été. « La salope » dira Sandrine.
Depuis
30 ans, Tatie Danielle
est un film à part dans le cinéma français, le meilleur d'Etienne
Chatiliez. Le choix de Tsila Chelton et Isabelle Nanty, toutes deux
directrices de cours de théâtre, la première a été professeur de
l'équipe du Splendid, la seconde au cours Florent, permet une
compréhension du comique pince-sans-rire. Impossible de ne pas
penser à l'autre Tatie Danielle, Danielle Mitterrand dont on apprit,
bien plus tard, que derrière son grand sourire se cachait une femme
à l'extrême rigidité de caractère.
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