vendredi 29 janvier 2016

Les Délices de Tokyo (Naomi Kawase, 2015)

Sans doute faut-il commencer par dire ce que n'est pas Les Délices de Tokyo. Si l'on s'en tient à la bande-annonce malicieuse et alléchante (que j'ai été obligé de regarder juste avant Le Garçon et la bête), elle parle de la transmission du savoir entre générations (un peu comme dans Le Festin chinois de Tsui Hark) et elle évoque le passage au succès d'une pâtisserie qui n'a guère de clients (lorgnant vers Tampopo de Juzo Itami), elle suggère aussi une comédie légère (ce bon feel good movie). Le film de Naomi Kawase est un peu tout seulement, mais seulement dans ses vingt première minutes avant de bifurquer ailleurs.

Sen (Masatoshi Nagase) tient une petite échoppe où il fabrique des dorayakis, des pâtisseries composées d'une pancake à base de farine de riz tranché dans lequel il insère du an, de la pâte de haricot rouge sucrée (miam). Ses très rares clients sont des lycéennes. Les trois premières se moquent un peu de Sen, ses dorayakis ne sont pas très goûteux, elles lui demandent de sourire, ce qu'il ne fait pas. Quand elles sont parties, Wakana (Kyara Uchida) une autre lycéenne, plus timide mais plus gentille, arrive. Sen lui offre ses pancakes ratés, sans doute doit-elle être pauvre. Puis, une vieille dame, par l'odeur alléchée vient proposer son aide.

Cette vieille dame s'appelle Tokue (Kirin Kiki). Le sourire aux lèvres, elle annonce qu'elle a 76 ans. Elle fait quelques petits gestes avec ses mains que Naomi Kawase commence à filmer avec insistance, surtout les difformités aux poignées. Tokue veut travailler pour Sen. Il refuse. Elle revient le lendemain pour offrir à nouveau ses services, pour salaire de misère. Il refuse, mais accepte de goûter ses haricots rouges qui sont délicieux. Bref, je suis en train de raconter ce que l'on voit dans la bande annonce. Sen et Tokue commencent à faire de délicieux dorayakis. Ils se vendent et les gens, alertés par l'écho de si bons mets, affluent.

Naomi Kawase filme ce petit miracle de comédie tambour battant. Elle observe en gros plan, caméra au plus près des visages, des marmites et des haricots la fabrication de la recette de Tokue. On sera tout des deux cuissons à l'eau puis de la cuisson au sucre et finalement de l'ajout de sirop de glucose. Elle réussit à fictionnaliser ce qui, dans ses films précédents, n'était montré que comme une expérience de la nature. Cette nature qui entoure l'échoppe, des beaux cerisiers en fleurs que Tokue regarde avec tout autant d'amour que ses haricots rouges.

Mais les clients vont un jour cesser de venir. La faute aux mains de Tokue qui inquiètent certains clients. Ce sont des méchantes rumeurs, affirme Sen à Tokue qui reste évasive sur le sujet. Ce sujet, c'est tout à la fois la paranoïa des Japonais concernant une maladie rare (la lèpre) dont a souffert Tokue, que cette passion pour les produits aseptisés (emballage pour chaque dorayaki). Un jour que Sen ne peut pas se lever, Tokue sert les clients. Ce sera la dernière fois car le lendemain, plus personne ne vient. L'amitié entre les trois solitaires ne s'en trouve que plus renforcée, seuls contre tous.

Le film tente de se relancer très mécaniquement avec l'arrivée de la propriétaire de l'échoppe (elle se plaint de Tokue, elle veut que Sen travaille avec son neveu neuneu), pure concession scénaristique. Mais Naomi Kawase préfère parler de ses trois marginaux et sonder leur cœur. Sen est alcoolique, il a une grosse dette d'argent, Tokue commence à vivre et à découvrir le monde à 76 ans et cette lycéenne a comme seul ami un canari. Ce sont trois solitudes qui vont s'unir, discuter de la nature avec cet esprit new age que la cinéaste aime tant. Le film est agréable, mais tout ce faisait la saveur du cinéma de Naomi Kawase, son secret, sa pâte de haricots rouges à elle, semble s'être dissous.

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