vendredi 29 janvier 2016

Jacques Rivette (1928-2016)

J'habite à Grenoble depuis 25 ans. L'une des salles que j'ai le plus fréquentée depuis que je vais voir des films est la Salle Juliet Berto occupée à la fois par la Cinémathèque de Grenoble et le Ciné-club de Grenoble dont j'ai été pendant dix ans un animateur. Après toute une année de travaux (nécessaires, les sièges étaient en plastic et cassaient le dos), une inauguration a eu lieu en avril 1998. Tous les films projetés étaient avec l'actrice Juliet Berto, grenobloise de naissance. Pour la première fois, je voyais des films de Jacques Rivette avec qui elle avait beaucoup tourné. Duelle (1976) et Céline et Julie vont en bateau (1974) étaient au programme. Pour faire la réclame autour de ce dernier film, je disais qu'il faisait la même durée que Titanic (3h12) qui venait juste de sortir. Si le film de James Cameron avait passionné 21 millions de spectateurs français, Céline et Julie vont en bateau pouvait remplir notre salle de 200 places. Le film était très drôle, très vif, bourré d'action. On y contait l'histoire de deux filles un peu barrées qui avalaient des petites pilules qui les emmenaient dans des mondes parallèles. Quand les frères Wachowski ont sorti Matrix un an plus tard, nous étions quelques happy few à savoir que le film de Jacques Rivette était l'une de leurs influences principales.

Si j'ai mis tant de temps à regarder des films de Jacques Rivette, c'est sans doute à cause de leur réputation. Quelle réputation ? D'abord celle de leur durée. Jeune étudiant, j'avais un ami très proche qui était amoureux d'Emmanuelle Béart. « Quatre heures avec elle nue, tu te rends compte, Jean ? » La Belle noiseuse (1991) a sans doute été le plus grand succès public du cinéaste, avec La Religieuse (1966). Le film a même été nommé pour le César du meilleur film. Pas franchement une consécration pour Jacques Rivette qui devait ne pas trop s'intéresser à l'Académie des Césars, ne serait-ce que parce que cela s'appelle l'académie. Sa deuxième réputation est justement de ne pas faire de films académiques, c'est-à-dire qu'il se moquait bien que chaque bouton de guêtre soit sur les costumes de ses interprètes. Parmi ses films en costumes, Jeanne la pucelle (1994) d'une durée totale de 6 heures cherchait à être fidèle à une époque grise et poisseuse aussi éloignée que possible de celles de Robert Bresson que de celle que fera trois ans plus tard Luc Besson. Il procédait de la même manière avec Hurlevent (1985), son adaptation du roman d'Emily Brontë où le romantisme est mis à plat. Comme je l'expliquais au sujet de Out 1 Noli me tangere, ce qui passionne Jacques Rivette, ce sont les moments de creux plutôt que les climax.

L'influence de Jacques Rivette sur le cinéma contemporain est énorme, plus que celles de Godard, Truffaut, Rohmer ou Chabrol réunis. Moins pour les sujets qu'il a abordé dans ses quelque vingt films ou pour son style, mais pour son mode de production. Les films de Rivette étaient bons marché, il tournait avec une équipe réduite, il était fidèle à ses techniciens et ses actrices. En ce sens, on peut dire que les frères Larrieu, Bruno Dumont, Arnaud des Pallières, Alain Guiraudie sont des cinéastes rivettiens. L'influence de Jacques Rivette sur la critique française a aussi été fondamentale. Il commence à écrire aux Cahiers du cinéma dès 1952. Il est l'auteur de peu de textes. L'un des plus marquants en 1962 était titré De l'abjection et parlait de Kapo de Gillo Pontecorvo. Ce texte où il dénigrait qu'un travelling filme joliment une femme qui mourait électrifiée en tentant de s'échapper d'un camp de concentration est fondateur de toute une chapelle critique qui va de Serge Daney (Cahiers du cinéma puis Libération), à Les Inrockuptibles, Libération, Le Monde et bien-entendu les Cahiers du cinéma jusqu'à aujourd'hui (il suffit de relire ce que ces publications disaient sur La Liste de Schindler et Le Fils de Saul). L'un des tous premiers textes de Jacques Rivette dans les Cahiers (N°23, mai 1953) sur Howard Hawks commençait ainsi : « L’évidence est la marque du génie de Hawks. » Rien que pour ça, il fallait lui rendre un hommage.

1 commentaire:

jcques boudinot a dit…

Superbe hommage que tu as écrit, Jean.
C'est simple, beau et juste.
J'espère que ça donnera envie aux lecteurs
de voir ses films.