jeudi 14 janvier 2016

Carol (Todd Haynes, 2015)

Ce mercredi, trois films mettant en scène des personnages lesbiennes sortent en salles. Des trois, Carol de Todd Haynes est le meilleur (et de très loin). Le personnage éponyme est incarné brillamment mais pudiquement par Cate Blanchett. Tout commence quelques jours avant Noël 1952, ce qui me fait imaginer que Todd Haynes a choisi le titre de son film et le nom de son personnage pour illustrer un « Christmas Carol », un conte de Noël, avec un sens évident de l'ironie, puisque l'époque n'était pas franchement à la rigolade avec ce cher Dwight Eisenhower comme Président des Etats-Unis, alors dans un élan d'un conservatisme aussi pénible à vivre que celui d'aujourd'hui.

Un magasin de jouets, une vendeuse qui s'affaire derrière son comptoir. Elle s'appelle Therese Belivet (Rooney Mara). Le regard fixe de Therese croise finalement celui de Carol, qui vient acheter un jouet pour sa petite fille. Il n'y a plus la poupée qui parle et qui fait pipi, lui signale la vendeuse gênée. Elle suggère un petit train. Un jouet pour garçons, certes, mais Therese affirme qu'une petite fille peut très bien jouer avec un petit train. Carol laisse son adresse pour l'expédition du cadeau. Et elle oublie sur l'étal sa paire de gants de cuir. A moins que ce ne soit pas un oubli. Therese lui expédiera ses gants et le petit train par la poste, non sans avoir omis de mettre le moyen pour Carol de la contacter.

Todd Haynes relève avec discrétion la différence de classe sociale des deux femmes. Carol habite avec son époux Harge Aird (Kyle Chandler) dans une belle maison cossue du New Jersey, pas celui banlieusard et coupe-gorge proche de New York comme lui fait remarquer une collègue de Therese quand Carol l'invite à venir lui rendre visite. Therese habite dans les bas-fonds de New York dans un petit appartement où elle doit allumer le four le matin pour se chauffer. Carol est une femme de mondanité, Therese aspire à devenir photographe. Les deux femmes discutent autour d'un thé de tout et de rien, elles vont acheter ensemble le grand sapin pour décorer le salon, elles oublient qu'elles ont chacun un homme, car Therese est courtisé par le jeune Richard (Jake Lacy).

La flamboyance que Todd Haynes appliquait à Loin du paradis (influence de Douglas Sirk) est abandonné pour illustrer son drame amoureux (le premier baiser ne viendra qu'au bout de 80 minutes). Le modèle pour Carol est Lauren Bacall dans La Femme modèle de Vincente Minnelli, une femme libre de toutes les contraintes masculines. Carol va expérimenter le divorce avec son époux avec au milieu la garde de leur fillette. Le modèle pour Therese est Anna Karina dans ses premiers Godard, coupe de cheveux à frange, gilets colorés et dispute dans un appartement avec Richard.

Mais ce que réussit par dessus tout dans Carol, c'est se débarrasser de cet académisme qui parasite de nombreux films en costumes. Le film traîne un grain pellicule (d'après l'imdb, le film est tourné en partie en 16mm) qui donne à New York une puissante mélancolie. Le cinéaste prend bien soin de ne pas nettoyer les véhicules au polish (la voiture de Carol montre un pare-brise mâchuré, un taxi est rouillé). Ce qui est très beau aussi, ce sont ces vitres ou barrières placées entre les personnages et le spectateur pour établir une distance imposée par la société, avant de finir par un regard caméra de Carol d'une force redoutable qui emporte le spectateur dans une émotion térébrante.

Alors face à Carol et Therese, le cinéma français propose deux films totalement différents. Tout d'abord la pochade de la revenante Diane Kurys. Arrête ton cinéma ! est un titre parfait pour cette évocation aussi naïve que poussive de la fabrication du scénario d'une actrice apprentie cinéaste. Sylvie Testud s'imagine dans ce personnage qui accepte que deux productrices financent son futur film. Il faut oublier ce qu'est la sobriété quand Josiane Balasko et Zabou Breitman en lesbiennes de choc et de coke débarquent dans le film. C'est un festival ininterrompu de cabotinage qui donne droit à bon nombre de clichés mais aussi des répliques débitées à un rythme effréné. On imagine le bonheur que cela aurait été si Bertrand Blier s'était chargé du film quand il était bon. Balasko et Zabou font le show, elles le font bien et m'ont fait rire. Le reste est cucul la praline et narcissique.

Autre réalisatrice, autre film. Marion Vernoux adapte un film Sundance pour son nouveau long-métrage. Et ta sœur est le remake de Your sister's sister de Lynn Shelton. Tessa (Géraldine Nakache) propose à Pierrick (Grégoire Ludig) d'aller se mettre au vert dans la maison de ses parents située sur une petite île. Ce grand gars pataud et paresseux doit réviser un concours de bibliothécaire. Mais dans la maison se trouve Marie (Virginie Efira, parfaite) la demi-sœur de Tessa. Marie est lesbienne, elle aussi s'est retirée après s'être fait larguée par sa copine. On boit de la vodka, on finit au lit, et le lendemain, Tessa débarque dans la maison. Car Tessa avait une idée derrière la tête : elle est amoureuse de Pierrick et elle voulait passer du temps avec lui.

Une lesbienne, un hétéro beauf, une coincée à lunettes, et hop, c'est parti pour un film bourré de quiproquos (la capote jetée dans la poubelle que Tessa va découvrir), de portes qui claquent et de reproches en veux-tu, en voilà. Le tout filmé avec un caméra souvent mobile avec des acteurs qui semblent improviser. Et bien, petit à petit, le film devient meilleur, on s'attache à ces personnages qui changent de comportement, certes, mais avec un certaine subtilité. Le film trouve un ton en rejetant l'aspect Sundance, comme Les Beaux jours (Laurent Lafitte tombait amoureux de Fanny Ardant) réussissait à le trouver. Et puis, pour être honnête, un film où n'arrête pas de boire ne peut pas être un mauvais film.

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