lundi 14 décembre 2020

Notre histoire (Bertrand Blier, 1984)

Les 15 années de la carrière d'Alain Delon restent un continent à explorer, cette terra incognita qui va de Monsieur Klein (1976) à Nouvelle vague (1990) d'où émerge seulement ce Notre histoire. J'imagine assez bien ce que sont ces autres films, des polars français qui ont été qualifiés de très viril où il tire la tronche (Jean-Paul Belmondo fera à peu près la même chose avec des variations subtiles comme des cascades en caleçon) et Bertrand Blier comme Jean-Luc Godard s'amuseront de cette tête sans émotion, ce visage fermé qui n'exprime que ce que le spectateur accepte de voir.

« Ça commence dans un train, ça se poursuit dans une chambre d'hôtel, maintenant on est dans une voiture de location et tout à l'heure on va arriver dans une petite maison avec un frigidaire et de la bière dans le frigidaire ». Robert Avranches est un homme seul dans un compartiment de première classe, il lit L'Equipe, trois bières vides sont posées sur la tablette, lunettes, paquet de cigarettes, clés, portefeuille. Il est chez lui dans ce compartiment, il revient de Genève la valise pleine de billets cachés dans le double fond, Robert Avranches est garagiste, voilà une profession que n'avait jamais exercé Alain Delon.

Pendant les 10 premières minutes chaque personnage du duo que forment Alain Delon et Nathalie Baye, qui n'a pas encore de nom, elle sera plus tard Donatienne, invente l'histoire qu'ils vont vivre. Rencontre inopinée dans ce train, Donatienne le visage aussi peu enjoué que celui de Robert propose un bout de récit. « C'est l'histoire d'une femme qui rentre dans un train... ». Il lui répond « c'est l'histoire d'un homme... ». Bertrand Blier balance ses pions comme s'il inventait son récit comme s'il ne savait pas où il va, comme si ses personnages allaient du train, à l'hôtel, à la voiture et à la petite maison de leur propre initiative.

Très tôt, un accroc dans leur récit porte vers une direction. Donatienne veut s'enfuir après avoir baisé dans le train, mais l'homme s'incruste. A nouveau, ils recommencent à créer leur histoire avec cette fois des désaccords. Robert veut quitter la femme quand elle aura souri. Il a acheté un Polaroïd pour ça. Ça négocie, ça se refuse, ça se retrouve. Voilà l'astuce scénaristique choisie et appliquée par Bertrand Blier, elle est plaisante mais Notre histoire risque à force de tourner en rond, par chance la nouveauté de ces allers et retours, alors ils doivent un peu se poser dans cette petite maison dans un lotissement de Haute Savoir.

Un fauteuil et un frigidaire, ce sont les choses essentielles pour Robert. Un fauteuil dans le salon, coincé entre une étagère, un cendrier et une armoire. C'est son fauteuil dit Robert. Il s'assoit son pardessus encore sur les épaules et la valise sur les genoux. Le frigidaire doit être plein de bières. La bière, picoler, c'est l'activité principal de Robert Avranches pendant tout le film. C'est sinistre mais il a promis de satisfaire Donatienne. Il lui dit qu'il a plein d'argent, il lui donne de l'argent, elle se tire tout de suite avec l'argent. Il n'est pas question qu'elle reste avec ce pauvre type alors qu'elle a un amoureux dehors, d'ailleurs il arrive.

Bertrand Blier ne peut pas laisser son duo seul. Voici une voiture qui arrive vers la maison. Ce sont les amis de Donatienne. Duval (Gérard Darmon), foulard attaché au cou conduit. C'est lui qu'elle aime, c'est avec lui qu'elle veut s'installer. Lui est rebelle. Dans la voiture d'autres amis, autant de personnages secondaires qui viennent encore une fois modifier le récit, un petit loulou (Vincent Lindon), la meilleure amie de Donatienne (Sabine Haudepin), un moustachu (Bernard Farcy) et un barbu (Norbert Letheule). De toute façon, la voiture est déjà pleine. Ils viennent observer le visiteur, Donatienne se plaint à ses amis qu'il reste conte son gré.

Elle ne peut pas s'empêcher d'aller sur les quais de gare pour ramener des inconnus dans la petite maison. Elle arrive cette fois avec un autre homme (Jean-Pierre Daroussin), il s'installe sur le fauteuil de Robert Avranches. Pour se débarrasser de Robert, elle a appelé quatre de ses vieux amis. On reconnaît Jean-Louis Foulquier et Philippe Laudenbach. Leur histoire est bousculée à un tel point qu'un belle bagarre se déclenche. J'ai beau avoir regardé cette scène plusieurs fois, il est remarquable de constater qu'Alain Delon se bat sans doublure, comme les autres, ils se renversent sur les meubles et le canapé dans tous les sens.

Parce qu'il n'y a pas encore assez de personnages, entre en scène un voisin, Monsieur Pecqueur (Michel Galabru) en peignoir rouge vif. À ce stade du film, tout réalisme est abattu et ce sont les meilleures séquence de Notre histoire. On passe de la maison de Donatienne à celle de Pecqueur, le film s'emballe et le comique explose en feux d'artifice, grâce à Michel Galabru prodigieux pour donner les répliques de Bertrand Blier, relancer des histoires en offrant sa femme (Geneviève Fontanel) à Robert, là aussi des bagarres ont lieu avec un soin à détruire tout le mobilier attirant encore plus de voisins (que des hommes) en peignoir.

Le film aurait pu s'arrêter là, il aurait absolument génial, l'un des meilleurs de Bertrand Blier (il l'est quand même), hélas il continue hors de ce quartier avec la quête désespérée de Robert de retrouver Donatienne. Ses indices le poussent vers une vieille dame (Ginette Garcin), un instituteur en montagne (Jean-Fançois Stévenin) mariée à une ancienne amie de Donatienne que joue également Nathalie Baye. Il fallait boucler cette histoire par ce pied de nez poussé avec les derniers plans où Robert rentre enfin chez lui, un appartement en banlieue parisienne et une femme en rouge assise devant la télé, cette femme c'est Nathalie Baye.



































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